La mort n’a pas approché ma vie avant que j’aie vingt-quatre ans et je n’avais jamais réalisé mon statut privilégié avant de voir son impact dans le quotidien de ma toute jeune fille. En environ deux ans, elle a vu son père perdre deux de ses grands-parents; j’en ai perdu trois. Nous avons tous deux tenté de minimiser l’impact de leur décès sur elle, mais ça a été difficile. Elle a été grandement affectée de voir le chagrin de ses parents et de découvrir qu’un jour, la vie s’arrête pour ceux que l’on aime. Les questions se sont dès lors multipliées en un magnifique éventail de nuances :
«-Pourquoi il est mort?»,
«Il est parti où?»,
«Maman, vas-tu mourir? Et papa et mamie?».
On a jasé, pleuré, lu des livres sur la mort, elle s’est interrogée, révoltée et moi, j’ai souvent répondu «je ne sais pas» en étouffant un soupir. Comme pour la petite sœur, la mort est devenue une obsession temporaire de notre routine familiale.
Puis un jour :
«-Maman, as-tu peur que je meure, des fois?»
À cette question, ma gorge s’est brusquement serrée et j’ai senti mes entrailles se tordre d’angoisse. Imaginer la mort de ma fille est un cauchemar, mon corps entier s’oppose jusqu’à la plus minuscule suggestion liant Angélik et la mort. L’idée que ma fille puisse disparaître m’a trop souvent effleurée. Elle ignore que son cœur est fabriqué avec mon insouciance perdue.
«Honnêtement chérie, oui ça m’arrive. Mais faut pas penser à des choses comme ça. On est en santé et à moins d’un accident, on est pas prêtes de mourir ni l’une, ni l’autre!»
Ses petits bras se ferment sur moi et m’étreignent avec force.
«-Mais si jamais t’as un accident maman, tu vas mourir.
-Bin, si jamais j’ai un accident, ça se peut que je meure. Mais on peut pas passer notre temps à avoir peur qu’un accident arrive, c’est un peu stressant non?
-Ouais…
-On a juste à être encore PLUS prudentes!»
Angélik a souri et j’ai remarqué à quel point j’étais crispée; parler avec l’air confiant était pénible. Je n’arrivais qu’à penser aux moments qui la portent loin de moi, lorsqu’elle me quitte et va vivre ses aventures d’enfant de sept ans, visitant papa, les amies, l’école, la famille. Je sais maintenant que donner la vie implique de renoncer au contrôle que l’on croyait avoir sur elle et toujours craindre (en secret) que la mort ne s’invite. Ses départs font toujours hurler le ventre qu’elle a laissé vide et pour oublier la peur quand ses pieds la promènent ailleurs, je souris et lui dis encore une fois à quel point je l’aime.
Êtes-vous une maman inquiète quand vous quittez vos enfants? Vous avez déjà parlé à vos cocos de la mort?