Depuis que j’ai ajouté une poussette à ma course, le jogging n’est plus pareil. Courir est un exploit. Courir signifie habiller un bébé, l’attacher à une poussette, hisser cette charge à travers la neige ou la sloche, traverser la banlieue en semant des pleurs et des gazouillis.
Avant d’avoir un bébé, jamais je n’avais eu ces questions :
- Est-ce possible de courir enceinte?
- Comment fait-on pour jogger quand on est ficelé à un bébé?
Je ne réalisais pas ma chance.
Quand une petite humaine est apparue dans mon ventre, j’ai dû faire des choix (cesser de manger ceci et cela, stopper l’alcool et les partys). Mais la course, elle, est restée. Même qu’aujourd’hui encore, malgré mon bébé surtout avec mon bébé, elle continue à nourrir ma vie.
Avant de tomber enceinte, je me levais à l’heure où la lumière n’est pas-encore-debout. J’enfilais les mêmes vieux running shoes. Pour aller fendre l’air, les pensées embourbées dans le sommeil.
La lumière timide se mettait à dessiner les pourtours des choses. Je sentais mon coeur s’emballer. J’avalais quelques kilomètres puis je rentrais. Comme l’écrivain Murakami, je m’installais pour écrire. Et les mots dégourdis tombaient de ma main.
Pendant longtemps, pour saisir l’élan créateur, il m’a fallu mettre mon coeur à la course, l’inonder de sueur, puis l’asseoir près de la fenêtre. Le faire jaser.
Pendant.
La grossesse est venue (finalement). J’ai eu peur. Allais-je perdre le bébé si je lui imposais mon rythme? Je me suis informée ici et là et là. Être enceinte et jogger n’était pas contre-indiqué (n’en déplaise à nos grands-mères). Ha!
J’ai couru (en modifiant ma fréquence cardiaque) jusqu’à ce que mon ventre soit trop lourd. J’en étais au 7e mois.
Après.
Quelques jours après l’accouchement, je rêvais déjà de reprendre mes envolées. J’ai pourtant attendu. Je me suis mise à la marche (t’sais la chute d’organes, le « prolapsus », je n’y tenais pas). Puis, au 3e mois, hop! Je me suis lancée. Mon gynécologue était d’accord. Mes muscles périnéaux avaient repris leur tonus.
Il faisait un temps magnifique, je me souviens. C’était le printemps et c’était l’été (merci Jean Leloup). J’avais au bout des bras, dans un jogging-poussette, un bourgeon de bébé qui veillait sur mes pas.
Oh! ce n’était pas l’aube. Peut-être que ce ne sera plus jamais l’aube, quand je gambaderai. Peu importe, je continuerai.