À toi, petit loup d’amour,
Ce matin-là, quand tu as enfilé ton t-shirt rouge et tes petits pantalons, tu ne te doutais sûrement pas de la fin de l’histoire que tu lisais. Ce n’était qu’une petite traversée : 2 miles nautiques. 2 miles, c’est ce qui sépare Akyarlar en Turquie et la côte de l’île grecque de Kos. Ce n’est rien si on compare ça au vol entre la Syrie et la Turquie, qui t’a sauvé d’une ville qui te condamnait.
2 miles te séparaient d’un statut, celui de réfugié. Ta famille et toi êtes donc embarqués dans un petit bateau. Le petit bateau, il a coulé.
Tu n’es pas seul, petit coco, à avoir été retrouvé sans vie sur la grève, mais c’est ta photo que j’ai vue en premier.
Cette photo, je l’ai vue apparaître sur mon fil d’actualités alors que j’écoutais Masterchef à la télévision. Ironique, quand l’opulence côtoie la détresse pendant quelques secondes. J’ai poussé un cri. Les yeux m’ont roulé dans l’eau. J’ai dit des mauvais mots. J’ai fermé la page. Je ne voulais pas voir.
Je ne voulais pas te regarder, peut-être parce que la position dans laquelle tu as été retrouvé ressemblait drôlement à celle de mon petit Victor qui dort paisiblement dans son lit. Je ne voulais pas voir, probablement aussi parce que j’ai refusé, pendant quelques instants, de croire que la plage de Bodrum était celle où ton petit corps avait décidé de se poser après ta grande aventure. Les enfants devraient pouvoir jouer sur la grève, pas y reposer après s’être noyé, entourés de leur famille.
Pendant un moment, j’ai refusé de croire ce que j’avais vu, comme beaucoup de gens. Mais le malaise, la culpabilité m’ont rongé, et j’ai été lire ton histoire. Cher Alan, je me sens tellement concerné par ton histoire, celle de ton peuple, et me sens tellement impuissant à la fois. Tu es si loin et si près de moi à la fois. J’ai de la peine. Vraiment beaucoup de peine.
Petit loup, tu es en train de devenir une icône humanitaire et politique bien malgré toi. Tes photos sont accompagnées du #KiyiyaVuranInsanlik. C’est l’expression turque qui se traduit par Humanity washed ashore. L’humanité, échouée.
Certains jugent tes parents d’avoir tenté d’offrir à ta famille un meilleur lendemain en faisant des choix risqués, les traitent d’irresponsables. Ne les écoute pas, petit. Ils sont ignorants. Ils ne savent pas. Ce poème de la poète somalienne Warsan Shire devrait être lu par tout le monde.
Certains diront que ces photos ne devraient pas se retrouver devant nos yeux, trop choquantes, trop dures. J’ai la profonde conviction et l’espoir que le fait d’exposer au grand jour ton dernier repos produira assez d’indignation pour qu’une différence soit faite. Un peu comme l’effet papillon, peut-être que ton dernier souffle créera assez de force pour engendrer un ouragan.
Il est temps que chacun se responsabilise, que chacun ouvre ses yeux. Ce ne sont pas que des enfants comme toi, Alan, qui meurent à tous les jours en tentant de s’offrir une vie. Une population entière est en train de se faire décimer, et nous restons là, observateurs, ébahis, à se dire impuissants.
Il faut reprendre le pouvoir. Nous avons une responsabilité collective dans cette histoire. Ton voisin, ta cousine, tes amis ont besoin de nous, Alan. Nous pouvons faire une différence.
No one leaves home until home is a sweaty voice in your ear
sayin-
leave,
run away from me now
I don’t know what I’ve become
but I know that anywhere
is safer than here
Alan, bon vent, petit homme. Puisses-tu reposer en paix. Je serre mes enfants dans mes bras en pensant à toi. Et je te serre contre mon cœur, petit amour.
Si vous voulez mettre l’épaule à la roue et faire changer les choses :
savethechildren.org
sams-usa.net/foundation
donate.unrefugees.org
lifelinesyria.ca
Unicef
Une famille de moins à la mer – Une initiative de notre amie Manal Drissi.
NDLR : On nous informe que le nom de l’enfant est Alan plutôt que Alyan. La correction a été apportée à l’article.