J’ai adoré ma grossesse. J’ai aimé porter la vie, la sentir remuer à l’intérieur de moi, prendre soin de mon corps qui accueillait cet enfant inespéré. Je rayonnais, je chantonnais, je jubilais d’avoir la chance de porter un bébé en moi. Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes…, sauf pour toi. Tu me rendais la vie dure, tu m’énervais, tu me fâchais. Je sentais que tu te vengeais que j’aie décidé de garder le bébé et que je t’obligeais ainsi à rester alors que tu n’en avais rien à cirer de nous.
La première fois que j’ai senti le bébé bouger, je t’ai texté un « Ah, je l’ai senti! 😀 » auquel tu as répondu un tranchant « Il est encore temps de t’en débarrasser. » C’était tellement cruel et ça m’a immensément fait pleurer. Sentir mon bébé bouger, un évènement que j’imagine être doux et agréable dans une famille « normale », est maintenant teinté d’une tristesse que je ne pourrai jamais effacer de mon souvenir.
Tu me demandais de te faire du temps pour que l’on puisse planifier l’arrivée de l’enfant, ce que je t’accordais même si je combinais deux emplois en plus de mes études à temps plein. Souvent, tu repoussais ou annulais la rencontre, parfois je ne te voyais pas pendant plusieurs semaines d’affilée et tu revenais sur la défensive en me disant que je te t’avais fâché pour je ne sais quelle raison. C’était une attitude tellement enfantine que ça en frisait le ridicule. Moi, naïvement, je croyais que je devais le prendre, prendre ces coups durs, ces gifles en plein coeur, je croyais que je devais faire des efforts pour qu’on s’entende bien « pour le bien de l’enfant » même si ça me prenait plusieurs jours à me remettre émotionnellement de nos rencontres souvent cahoteuses.
Un jour, tu étais très nerveux, car tu t’apprêtais à lui dire. Tu avais pensé à ton set-up plusieurs jours à l’avance, tu avais pratiqué tes répliques. Le soir même, tu m’as texté pour me faire savoir que tu étais heureux. Elle t’appuyait et serait là pour toi en cas de besoin (est-ce que l’on s’attendrait à moins de la part d’une amie?). Quand tu lui as confié que tu craignais pour ton avenir amoureux, elle t’a dit que personnellement, cela ne lui dérangerait pas d’être avec quelqu’un qui avait déjà des enfants. Tu as pris cette information comme la confirmation que vos destins étaient liés (alors qu’elle était toujours en couple et toujours en train de planifier une famille avec quelqu’un d’autre), et que c’était correct d’être dans la vie de mon enfant à naître.
C’est là que tu as commencé à t’investir davantage dans ma grossesse; c’est là aussi que j’ai commencé à regretter de t’avoir mis au courant de l’existence de cet enfant. Ta présence dans ma vie et dans celle de ce bébé était directement due à elle, pas toi. Déjà que je trouvais difficile d’avoir à gérer ta présence souvent nuisible dans ma vie, je devais en plus gérer une personne qui n’avait aucune raison valable d’avoir une influence sur la vie de mon bébé.
Puisqu’elle était maintenant au courant et qu’elle acceptait l’idée d’être potentiellement la belle-mère d’un enfant (le tien, dans tes rêves), tu en as informé tes parents qui furent très surpris d’apprendre la nouvelle. Agréablement surpris, cela dit. Cependant, tu as tenu à garder l’existence de ta progéniture involontaire secrète et tu as prié les rares connaissances qui étaient au courant de ne pas ébruiter l’affaire. Comme si le bébé et moi étions une tare qu’il fallait cacher. Cela m’a profondément blessée, moi qui disais avec une joie apparente à tout le monde (de toute façon, je pouvais difficilement le cacher) que j’attendais un bébé.
Mais chaque fois que tu étais là, l’Enfer continuait.