Je vais avoir 34 ans dans quelques jours. Je suis reconnaissante, car selon mes plans, je devais mourir il y a quatre ans. Chaque fois que je raconte ce passage de ma vie, en conférence, les yeux de mon public se remplissent d’eau, les larmes ruissellent sur les joues, les gens cherchent des mouchoirs et ma voix devient cassante. Par contre, ce que je n’ai jamais dit, c’est que je jouais vraiment bien ma game pour partir à l’insu de tous. Je n’avais jamais réalisé à quel point j’avais bien caché mon jeu, jusqu’à ce que Facebook me ramène une vieille photo il y a un mois. Vous savez, ces suggestions Facebook qui nous ramènent de vieilles photos et de vieux statuts?
Cette photo m’a frappée. Je ne m’en souvenais plus. Au premier regard, j’ai vu mon sourire. En m’attardant un peu, j’ai vu mes yeux. Un regard qui parle. Qui dit tout aux gens qui me connaissent bien. Des gens comme ma mère et ma meilleure amie de l’époque. En cliquant sur la photo, j’ai vu quelques « j’aime », mais surtout deux commentaires. Si quelques amis Facebook ont aimé mon sourire, deux personnes ont vu plus loin. Ils ont vu que ce sourire dissimulait mon mal de vivre.
Andréanne, ma meilleure amie, me demandait d’aller déjeuner, de se voir. Elle insistait. Je savais qu’elle avait lu dans mes yeux. Émotivement, nous avions traversé tant de choses. Nous avions fait nos études en mode ensemble et avions toutes deux décroché un poste chez Mexx à la fin de notre stage. Elle, en présentation visuelle, moi, aux achats. Quelques années plus tard, nous étions enceintes de nos filles en même temps.
La mienne est née malade, mais pas la sienne. J’avais l’impression que nous n’étions plus à la même place. Qu’elle ne comprendrait pas. Plus les mois passaient, moins je voulais qu’elle comprenne. Je me coupais volontairement du monde, et surtout d’elle. Je me renfermais sur ma douleur qui était trop vive pour être partagée. Même à ma mère qui me demandait de faire attention à ma santé, en commentaire sous ladite photo, et à qui je répondais que je n’avais pas le temps.
Ni ma mère ni Andréanne ne m’ont sauvée de ma tentative de suicide, car je ne leur en ai pas donné la chance.
C’est ma fille, alors que j’étais devant la pharmacie de la salle de bain, qui s’est mise à hurler dans sa chambre en fracassant ses petites mains dans sa porte. C’est elle qui m’a fait refermer la pharmacie. Je suis allée vers elle, mon conjoint s’est réveillé et est venu nous rejoindre. C’est moi qui ai calmé la petite, car son père en était incapable. Une fois Ariane couchée, j’ai dit à mon conjoint que je voulais mourir, mais que je ne pouvais pas. Qu’Ariane avait besoin de moi. Il s’est mis à pleurer en me disant qu’il s’en doutait. Dans les jours qui ont suivi, nous avons fait un ménage dans tous les stress extérieurs et j’ai compris que si je voulais rester en vie, je devais être aidée.
Depuis, je me suis reconstruite, et je vois cet épisode de ma vie comme un parcours douloureux, mais qui m’a beaucoup appris. Il n’y a qu’une chose que je n’ai jamais réglée. Une personne à qui je n’ai jamais donné d’explication. Qui se demande peut-être encore pourquoi aujourd’hui, du jour au lendemain, elle a perdu sa grande amie.
Drew, j’ai refusé de te voir parce que je savais que tu me démasquerais. Je savais que tu ne me laisserais pas partir. Je t’ai retirée de mes amies Facebook, j’ai cessé de répondre à tes messages parce que je ne voulais pas que tu m’empêches de mourir. S’il y a une chose que je regrette aujourd’hui, c’est notre amitié que j’ai volontairement brisée parce que je voulais tout quitter. Tu me manques.
Je suis désolée.
Et vous qui, comme moi à cette époque, n’en pouvez plus, ne partez pas. Ne laissez pas tout en plan. Je vous supplie de demander de l’aide, car, oui, aussi difficile à croire que ça puisse paraître, ça finit par aller mieux.
Association québécoise de prévention du suicide
Suicide action Montréal
Centre de prévention du suicide de Québec