Le téléphone sonne et vous apercevez du coin de l’œil le nom sur l’afficheur. Ugh. Of course qu’il y a juste elle qui appelle sur le téléphone de la maison. La voix pimpante de joie et de bonheur, une p’tite pointe de désolation également dans le trémolo, vous invitant pour le brunch ou au restaurant (Scores; le bar à salade est ben bon) pour voir ses p’tits enfants pis son fils. Et vous aussi, bien évidemment. Vous cherchez une excuse, aucune ne semble plausible ou bien vous les avez déjà toutes utilisées auparavant. Elle est tenace, elle connaît la game, donc vous raccrochez, résiliez.
Vous savez de qui je parle, non? La Belle-mère, avec une majuscule pis toute, l’incarnation des mauvaises blagues de Piment Fort et de mononcle Roland. La méchante Belle-mère, celle qui sort fraîchement de chez le coiffeur avec sa teinture fracassante, celle qui astique le carrelage avec la frénésie du Jugement dernier, celle qui cuisine comme Aunt Jemima, celle qui sait rabibocher les jeans troués de son garçon en un tour de main, chantonnant nonchalamment des vieux succès de Michel Sardou avec un air condescendant en votre direction, celle qui jette un regard par-dessus votre épaule, le « tut-tut » bien sonnant alors que vous intervenez avec votre enfant pas de la bonne façon, semble-t-il.
Cette image est bien incrustée dans notre culture. Elle est comme une légende, une histoire pour faire peur, chuchotée précipitamment dans la cour d’école entre les p’tites copines pendant la récréation. Dites trois fois son nom pis elle va apparaître, comme Marie Blanche, sauf qu’au lieu d’apparaître dans le miroir pour vous tuer, la Belle-mère va ressurgir par la porte pour vous parler de sa hanche qui lui fait donc mal pis passer un doigt accusateur sur votre rebord de fenêtre poussiéreux. #ScaryAsHell
Pourtant, est-ce que la Belle-mère mérite autant de haine? Mentionnez ce mot tout haut, la « belle-mère », et vous verrez les yeux rouler de découragement, s’imaginant collectivement cet archétype de la vielle femme fouineuse et indiscrète qui entre dans votre maison, reste beaucoup trop longtemps et critique tout ce qui lui tombe sous le nez, de votre façon d’éduquer votre p’tit jusqu’au choix de couleur de la céramique de la salle de bain. Les histoires d’horreur sur les belles-mères pleuvent partout, parce que les légendes et les mythes ont des parcelles de vérité. Ici, une madame sans vergogne qui est entrée dans la maison en cachette pour vérifier si les chemises de son fils étaient repassées convenablement. Là, la belle-mère qui affirme que c’t’enfant-là est trop gâté, pas du monde, hyperactif, syndrome de quelque chose en tout cas.
Malgré tout, une question m’achale sans cesse depuis que j’ai un enfant et que je suis devenu moi-même un Dada, soit celui qui fait un peu le rôle de la maman : un jour, nous allons (peut-être) être des belles-mères à notre tour, non? Vais-je être le même genre? Qu’est-ce qui arrive au cerveau d’un parent pour qu’il se transforme en mode « beaux-parent »? Alors que mon enfant crisse toute par terre grandit de jour en jour, je comprends de mieux en mieux la belle-mère. Je comprends l’amour fou qu’on peut porter à un enfant et d’être le centre de son univers, le pilier de la maison, le capitaine du bateau, celui qu’on écoute, celui qui shine.
Pis l’inévitable vérité est que cet enfant va grandir et quitter le nid, que la vie pis sa vieillesse vont me rattraper sournoisement, pis que je vais me retrouver entre deux âges, entre deux mondes, là où la société aime mieux que je sois invisible, plus discret et je devrai céder ma place à la personne qui va partager la vie de mon enfant. Je n’aurai pu un mot à dire, je pourrai seulement avoir peur ou être inquiet de mon bord, de loin, me rongeant les sangs en écoutant des reprises de Friends. Je devrai lâcher prise pis m’effacer encore plus parce que, moi, ma vie va être faite pis la sienne va débuter.
Je comprends la belle-mère finalement. Je la comprends quand elle s’échappe parfois et passe une remarque, quand elle gâte trop le p’tit ou quand elle nous force à boire des Coolers sans alcool. Je comprend que c’est un moyen comme un autre d’aimer, de faire sa place, de compter pour sa famille. C’est donc à grands coups de poulet trop cuit, de country tonitruant, de danse en ligne et de capris offerts tendrement, qui fittent juste pas à mon p’tit, que j’fais de la place à la belle-mère. J’lui laisse sa chance pis j’me tais, pis j’souris. J’essaye de passer par-dessus le mythe de la belle-mère, comme elle tente de passer par-dessus le mythe du gendre légèrement fendant qui la regarde de haut parfois.
Et vous, comment avez-vous survécu au mythe de la belle-mère?