J’suis une femme. Une maman. J’ai plus de 40 ans.
Si ces trois faits sont relativement business as usual dans la vie de tous les jours, c’est carrément inédit sur les équipes de développement dans l’industrie du jeu vidéo.
Laissez-moi me retourner de mon siège, là, au moment même où je vous parle. Derrière moi, y’a une centaine de personnes et de ces cent développeurs, vous savez combien de ceux-ci sont des femmes?
UNE!
C’est pas scientifique, c’est une observation du moment, mais ça parle des masses.
Crédit : Imgur
Des études de l’IGDA montrent que seulement 22 % des gens de l’industrie sont de genre féminin, et je peux vous confirmer que ce pourcentage chute drastiquement lorsque l’on parle de la haute direction ou des équipes de direction créative, où moins de 10 % sont de sexe féminin.
J’adore mon travail. Faire des jeux, c’est pour moi l’appel d’une vie. J’en mange, j’en rêve, je gamifie même mon parcours à l’épicerie (50 points pour ne pas avoir renversé la pyramide de pots de pickles!). Même si j’ai eu l’occasion de bosser avec des gens débordant de talent, être une fille dans cette industrie, ça n’a jamais été simple. Et si j’y reste, si je m’y démène, c’est parce que j’ai envie que la génération de ma fille y voit un terrain propice pour les hommes et les femmes, sans distinction aucune. Pour y jouer, y travailler, la critiquer, la renouveler.
C’est prouvé, l’industrie s’est « masculinisée » dans les années 90 où, pour des raisons marketing, le jeu vidéo est devenu l’apanage des petits garçons. Les distributeurs ont genré leurs produits, et les petites filles qui avaient eu tant de fun avec Donkey Kong ou King’s Quest se sont fait doubler au photofinish de la rentabilité.
Crédit : Atari, publicité 1982
La clientèle cible est vite devenue la relève des développeurs. Ce qui explique qu’à mes débuts, hormis les gens des ressources humaines, le studio pour lequel je travaillais comptait deux filles.
DEUX!
C’était y’a douze ans. J’étais jeune, naïve et j’avais faim de prendre d’assaut l’industrie. J’ai vite ressenti la pression de me prouver. Oui, je peux jouer. Oui, je joue depuis toujours. Oui, je peux me servir d’une manette. Oui, je peux concevoir un tableau de jeu et, non, il ne sera pas rose.
On m’a évidemment foutu un gun rose dans les mains.
Crédit : Julie Marchiori
Toutes les femmes de l’industrie ou presque vous le diront : le plafond en haut de nos têtes, il est pas juste en verre, il est antiballes-kevlar-verre trempé. Des histoires comme le #GamerGate de 2014 ont mis à jour la multitude des cas de préjugés, ou carrément de violence et d’intimidation vécue par certaines joueuses ou développeuses de jeux.
Encore aujourd’hui, des conférenciers sont grassement payés pour venir raconter que faire des jeux pour une autre clientèle que le mec de 35 ans qui joue pendant que sa femme couche les petits, c’est de l’argent garroché par les fenêtres. #TrueStory
Or, 46 % des joueurs, toutes plateformes confondues, sont de sexe féminin et de tous âges, et il est grand temps que l’industrie reflète cette réalité. Qu’on décloisonne le rose et le bleu, qu’on défonce les genres qui rentrent si bien dans les cases marketing et que la mixité des équipes de développement donne naissance à de tout nouveaux jeux qui rejoignent un public de plus en plus diversifié. Loin de moi l’idée de féminiser les jeux, je parle vraiment ici de diversifier, d’innover.
L’industrie change. Des initiatives fantastiques comme Pixelles ou Girls who Code permettent de remettre de la diversité dans ce milieu trop longtemps homogène. Des femmes inspirantes dirigent ou montent leur propre boîte, d’autres (plus rare) se joignent aux équipes de direction, et les projets qui en émergent sont étonnants.
Au bout du compte, la solution, c’est vous et moi.
Comme parents, il faut casser les préjugés et laisser la créativité des enfants aller là où elle veut aller.
Comme maman qui fait des jeux, je dois refuser de reproduire le même modèle et créer des expériences ludiques qui font rêver peu importe l’âge, peu importe ce que le joueur a dans les culottes.
Les stéréotypes? Game Over.