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Les chaises bleues de Polytechnique
Crédit: Naypong/Shutterstock

Polytechnique, le 6 décembre 1989. J’avais 9 ans.

Le 6 décembre 1989, j’avais 9 ans, presque l’âge de ma fille aînée aujourd’hui. Je me souviens encore de la tuerie de Polytechnique. On racontait partout qu’un tueur était entré dans une école au nom bizarre. Nous voyions les images à la télé. Je me souviens de l’atmosphère. Du haut de mes 9 ans, je pouvais sentir la gravité de la situation, mais je ne comprenais pas. On ne m’expliquait pas. 

À cet âge-là, le monde se divisait en deux, les bons et les méchants, c’était assez simple. Qu’un homme en veuille aux femmes, parce qu’elles étaient féministes, ça ne s’expliquait peut-être tout simplement pas à un enfant. 

Je me souviens qu’un voyage de classe était organisé à mon école primaire. On prévoyait partir pour un week-end à Montréal, visiter le Stade olympique, le cinéma Imax, ce genre de trucs. Je me souviens avoir demandé à mon prof si c’était dangereux d’aller à Montréal, à cause du tueur du Polytechnique…

Polytechnique, le 6 décembre 2005. J’avais 25 ans.

Le 6 décembre 2005, j’avais 25 ans. Je suivais un cours de résistance des matériaux dans le local B-311, celui où s’est terminé le carnage, 15 ans plus tôt. Le local dans lequel Marc Lépine s’enlevait la vie, d’une balle dans la tête, après avoir achevé au poignard sa dernière victime qui gisait sur le sol. C’est horrible juste d’écrire ces mots. 

Le B-311, c’est le local aux chaises bleues. À la Poly, tous les locaux de classe ont des chaises rouges, sauf celui-là. Il paraît que le mobilier avait dû être remplacé, après que Lépine ait tiré à bout portant sur les étudiants et étudiantes qui se cachaient sous les pupitres. 

B-311 Polytechnique

Crédit : Local B-311 Polytechnique de Montréal

Dans ma tête, chaque semaine, les fantômes de cette histoire se promenaient, au travers des chaises bleues. Mais je ne comprenais toujours pas le sens. Je ne comprenais même pas qu’est-ce que ça voulait dire, être une féministe. Tout comme Nathalie Provost, cette étudiante qui avait répondu à Lépine : « …Nous ne sommes pas des féministes, juste des femmes étudiant l’ingénierie… »

Je me souviens de mon passage à la Polytechnique comme d’un milieu de vie où, toujours, je me suis sentie égale à mes confrères masculins. Où jamais je n’ai eu envie de me considérer comme féministe parce que, pour moi, ce n’était même plus d’actualité. Ne pas être égale à l’homme, ce n’était même pas un concept dans ma tête. Tout me semblait possible et réglé à ce moment-là.

Mais ma vision des choses a évolué avec les années. 

Polytechnique, le 6 décembre 2016. J’ai 36 ans.

Aujourd’hui à 36 ans, après avoir voyagé, après avoir évolué dans un milieu de travail encore très masculin, après avoir appris sur les luttes des femmes qui sont passées avant nous, après avoir eu mes trois enfants et imaginé le monde dans lequel ils grandiront, je fais un tout autre constat: l’égalité homme-femme c’est un devoir de solidarité. OUI, je suis féministe et je l’ai toujours été, au fond.  

Et même si tout semble avoir déjà été dit sur l’événement de Polytechnique, je me fais un devoir personnel de me le rappeler, chaque année, chaque 6 décembre. 

Pour nous, les femmes, les travailleuses, les mères, pour l’avenir de nos filles et aussi de nos garçons, pour nos femmes autochtones et les autres, ailleurs dans le monde, qui restent encore dans l’ombre. Pour que celles qui le veulent puissent accéder à l’éducation et aux postes de pouvoir, pour un meilleur partage des tâches domestiques, pour atteindre l’égalité salariale, pour que cesse la culture du viol et la culture patriarcale, pour ne pas perdre nos acquis pour lesquelles nos mères et nos grands-mères se sont battues. Pour pouvoir continuer de choisir, de parler, de dénoncer et d’être écoutées, sans avoir peur. Pour tout ça et plus encore.

Et peu importe, qu’on soit une féministe en string ou bien en t-shirt de Gerry Boulet.

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