Les femmes de ma famille ont ce que ma mère appelle un « bassin de reine ». J’ai donc toujours pensé que mon corps était fait pour la maternité. Quand mes règles ne sont pas revenues après avoir arrêté la pilule, puis que tout ça s’est transformé en deux ans d’infertilité, j’ai eu l’impression que mon corps m’avait trahie. Je lui en voulais. Je sentais comme un vide dans mon ventre, ce ventre qui n’arrivait pas à donner la vie. Il a fallu que je prenne du temps pour moi. Que je me réapproprie ce corps qui m’avait fait faux bond quand j’en avais besoin. L’une des choses qui m’a aidée à me réconcilier avec ce corps récalcitrant est la danse.
Depuis que j’habitais à Montréal, je cherchais une école de ballet pour adultes, où je pourrais danser sans pression, pour le plaisir. Ça faisait 15 ans que je n’avais pas dansé. J’avais fait du ballet classique pendant mon adolescence, dans la petite école de danse de ma région. Je n’avais aucune ambition d’en faire une carrière, mais j’adorais faire les exercices à la barre, danser avec mes amies, apprendre des chorégraphies pour le spectacle de fin d’année. Je n’étais pas particulièrement douée, mais ce n’était pas important. Quand j’ai trouvé Ballet hop!, une école de ballet dans le Mile-End, j’ai tout de suite su que c’était exactement ce que je cherchais.
On vous a déjà parlé de Ballet hop! Sur Ton petit look et sur TPL Moms. Disons qu’on aime ben ben gros leur mission féministe, qui veut révolutionner le côté austère et élitiste du ballet, en donnant la possibilité aux femmes de danser sans se faire juger même si leur corps ne correspond pas nécessairement à l’idéal de perfection habituellement associé à la danse. C’est ce que m’a dit Camille Rouleau, la fondatrice de Ballet hop!. Je l’ai rencontrée pour parler des bienfaits de la danse sur le corps et l’esprit, ainsi que de l’aspect thérapeutique de la danse.
Selon elle, mon histoire est une histoire classique à Ballet hop! Ce n’est pas rare que quelqu’un vienne lui dire après un cours : « Moi j’étais en dépression, je venais de vivre une rupture, ça n’allait vraiment pas dans ma vie et j’ai pris ce temps-là pour moi. Je me suis isolée de tous mes problèmes, et pendant une heure et quart il n’y avait plus rien d’autre qui existait. J’ai fait du progrès et ça m’a aidée à me rebâtir. » Nous sommes plusieurs à être déçues de notre corps, car il nous a fait faux bond à un moment crucial, ou alors parce qu’il n’a jamais été à notre goût en termes esthétiques ou en termes de performance. C’est l’expérience de Camille également : « Moi je l’ai haï longtemps mon maudit corps qui est un deux par quatre, qui ne plie pas pantoute et qui n’a aucune souplesse. Ce n’est pas quelque chose de connu, personne ne va dire ” pauvre elle, elle fait pitié avec son corps qui ne plie pas ”, mais pour moi ça a été une rage et une frustration pendant longtemps. » C’est le cas aussi pour l’infertilité, personne ne voit cette souffrance continue, cette haine de ce corps qui ne fait pas ce qu’il est supposé faire.
Mais Camille est intarissable lorsqu’il s’agit d’expliquer comment la danse aide à se ressourcer, ne serait-ce que pour la production d’endorphines, pour la réduction du stress, pour avoir un meilleur sommeil. Ça donne de l’appétit, c’est sain comme exercice. En ce qui a trait au corps, la danse permet aussi d’acquérir de la force physique. On sous-estime beaucoup la force que ça prend pour danser. Il faut projeter son corps dans les airs, il faut faire des mouvements lents, développer sa résistance, c’est beaucoup de défis. La danse permet également de développer la souplesse, l’équilibre, la coordination, la grâce, et la proprioception (savoir où on est dans l’espace alors que l’on est en mouvement). C’est l’équivalent d’un entraînement à haute intensité. La posture s’améliore, car on travaille certains muscles atrophiés par notre posture « assis à l’ordi. » Ça permet d’ouvrir les épaules, de solidifier le dos.
Crédit : Joëlle Basque
En ce qui a trait à l’esprit, les bienfaits se situent dans le développement de la concentration et de la mémorisation, car il faut se rappeler des exercices à effectuer à la barre. Il y a aussi un côté méditatif malgré le fait d’être en groupe. Quand la musique part, on est toute seule dans notre bulle, on se concentre sur ce que l’on est en train de faire, c’est le moment où l’on ne pense à rien d’autre, un peu comme au yoga. Tout le monde exécute les mouvements en même temps, il y a un esprit de communauté, mais on est toutes chacune pour soi en train de travailler notre moment présent, notre corps, notre souffle. Au ballet, c’est la même chose. Camille ajoute : « C’est un sport individuel dans un sport d’équipe, ce qui est vraiment cool je trouve! »
Finalement, la danse permet de développer la confiance en soi et l’estime personnelle, que l’on arrive à atteindre un niveau de performance physique ou non, car on peut atteindre l’élégance et la grâce, et se trouver belle et forte. Qu’il s’agisse de surmonter les frustrations liées à l’infertilité, d’apprivoiser le corps post-grossesse, ou de se retrouver après une dépression ou un moment difficile, la danse peut aider à se réconcilier avec notre enveloppe corporelle. Pour tout simplement se sentir bien, se sentir mieux.