Ma fille, Livia, est définitivement la personne la plus étrange que j’aie connue (et créée). Pas étrange comme parler bleu quand les portes volent des spaghettis. Étrange comme « T’es weird, maudit que j’t’aime ! ».
 
Il était une fois, moi qui entend des cris de mort provenant de la chambre de Livia.
 
« Ça y est », que j’me disais en allant la rejoindre. Elle est tombée de son lit, s’est ouvert le crâne, y’a du sang partout et le kidnappeur qui est entré par la fenêtre de sa chambre a glissé et est tombé sur mon bébé qui ne peut plus respirer. 
 
Proche, mais non.
 
Elle était assise par terre et tirait sur son pied. Elle voulait l’enlever.
 
Je me suis dit « OK, Marie-Ève, v’là ton moment, tu vas sortir la phrase la plus brillante de ta vie…. maintenant ! »
 
Proche, mais non.
 
« Tu ne peux pas enlever ton pied, mon amour, parce qu’il est attaché à ta jambe. »
 
Après quelques secondes de réflexion, elle s’est mise à tirer sur sa jambe. Elle semblait encore plus traumatisée par son corps.
 
J’aurais voulu dire quelque chose de mieux, qui allait changer sa vie, genre « Tu ne peux modifier ta région talo-crurale, Ô, Progéniture. Tu pourrais te causer des blessures musculosquelettiques, vois-tu. Allons plutôt jouer de la harpe avec notre psychée! ». Au lieu de ça, ma bouche a déboulé un escalier verbal, rendant mes mots stupidement inutiles.
 
Cette bavure parentale m'a fait réfléchir et réaliser que j'ai rarement trouvé les mots parfaits pour rasséréner ma fille lors de ses épisodes liviens.
 
Comme la fois où je lui ai dit de ne plus utiliser le mot vulgaire qui rime avec « moque ». Il m’a fallu des semaines pour éliminer ce mot de son vocabulaire. Puis, le destin a voulu que je lui fasse la lecture du seul livre dont le protagoniste est un phoque. Et, bien sûr, elle a pointé l'animal en me demandant « Quoi, çaaaaaa? ».
 
MOQUE.
 
J'aurais pu lui dire que c'était un morse, une otarie, un cystiphore, même, mais non. Je lui ai dit, haut et fort « Ceci est un phoque, Livia. Un mothermoquing phoque. »
 
Il y a aussi la fois où elle m'a vue feuilleter un vieux Filles d'Aujourd'hui (les vraies reconnaissent). Je léchais mon doigt pour tourner les pages et elle m'a demandé pourquoi je mangeais le livre. Évidemment, lorsque j’ai reproduit mon geste à l'envers, j'avais l'air de manger le livre.
 
Je lui ai répondu «Nom-nom-nom, Le Courrier de Manu!».
 
Nom-nom-nom, Le Courrier de Manu?!?
 
Finalement, un de mes meilleurs coups momesques : je lui ai appris à utiliser «le mot magique» lorsqu'elle demandait quelque chose.
 
Ce qui devait arriver arriva:
 
« Maman, veux du lait. Dans un biberon, pas dans un verre. Pas dans gobelet. »
 
« C'est quoi, le mot magique? »
 
« Maman! »
 
« Cute, mais non. S'il... »
 
« S’il vous plaît magique! Du lait magique dans biberon magique pas verre pas magique et gobelet pas magique! »
 
MOOOOOOOOQUE!!!!!
 
Ma fille voulait juste du lait! J’étais en train de la mêler avec mon impertinence!
  
Ma fille a deux ans, presque trois. Son cerveau fonctionne différemment. D’une façon que j’envie, en fait. Et moi, j’essaie simplement de suivre. Parce que je l’aime. Parce que je la trouve brillante, merveilleuse. Étrange. Derrière chacune de mes réponses maladroites se cache un « T’es weird, maudit que j’t’aime ! ».

Et je sais qu’elle l’entend.