Cette fillette qui n’en est plus une – Comment une maman vit la prépuberté de sa fille.
Caroline ScottMa fille trimbale ses huit ans avec une innocence qui commence à se craqueler. Pas beaucoup, juste un peu, tranquillement, au gré des découvertes propres à l’enfance. Elle apprend des mots qui font mal, nomme des concepts de plus en plus effrayants, comprend des réalités qui, quelques fois, la déstabilisent. Elle éclate de rire de plus en plus fort, fait des blagues hilarantes, me parle de ses émotions et colères avec une lucidité surprenante. C’est une enfant qui grandit, mais c’est encore pour un court instant, ma petite fille. Je la regarde mûrir avec une amertume douceâtre, c’est difficile et fascinant à observer.
J’ai eu plusieurs surprises dans la dernière année. Soudainement, elle s’est mise à pleurer pour un rien, à avoir les émotions en montagne russe, à déverser sur son entourage des colères titanesques pour ensuite éclater de rire sans raison.
Au début, je m’inquiétais. Peut-être était-elle anxieuse, déprimée? Je la soupçonnais presque de me cacher un secret plutôt grave ; je ne comprenais plus ma fille. Ma mère m’a fait remarquer un jour le rythme lent des épisodes de « crises », marqué environ aux mois. J’ai douté, rigolé un peu.
Peu de temps après cette sage constatation, j’ai eu un choc en serrant ma fille dans mes bras : elle portait sur elle une odeur différente de celle que je connaissais, une odeur de transpiration assez prononcée brusquement mêlée au parfum de sa peau. J’ai dû lui acheter un bâton de déodorant, qu’elle utilise fièrement tous les mardis parce que c’est le cours de gym.
Il y a aussi eu un épisode de découverte de poils là où il n’y en avait pas auparavant. Elle était moins contente ce jour-là, elle n’avait pas envie de devenir grande, c’était trop tôt. Nous avions déjà eu la discussion du « pourquoi t’as du poil et moi pas? » et savait ce que ça signifiait. J’ai tenté de la rassurer et lui ai parlé de ma puberté à un jeune âge, exactement comme elle, et du fait que tout le monde ne la vit pas au même moment.
Pour elle, partager une ressemblance avec sa mère compense habituellement les désagréments d’une situation et une fois encore, ça m’arrangeait bien. Elle a fini par ne plus s’en préoccuper et a continué sa vie de fillette.
Tout récemment, elle est sortie de la salle de bain en claironnant « Maman, t’as vu, j’ai des
seins! » Bien sûr que j’avais remarqué, malgré l’omission de commentaire. J’ai vu les formes changer imperceptiblement sous son maillot de gymnastique, son corps d’enfant commencer une métamorphose inévitable. Elle a souri à pleines dents d’adulte et d’enfant mélangées.
J’ai souri aussi, sans découvrir les miennes et répondu que oui, j’avais remarqué.
– Tu trouves ça comment de commencer à avoir des seins?
-Bah… Ça va! Ça change rien.
Elle a haussé les épaules avec un air amusé puis a carrément changé de sujet. Deux minutes plus tard, elle chantonnait dans sa chambre en dessinant.
Depuis ce jour-là, il me prend quelques fois l’envie de pleurer recroquevillée dans des photos de bébé, malgré ma joie de pouvoir discuter avec elle, de la complicité qu’on a bâtie avec les années. Changer de corps, c’est difficile. Il y aura les regards différents, des commentaires qu’elle ne comprendra pas, des réalités dures qui exhiberont leur laideur et il y aura aussi énormément de beauté. Je sais que c’est normal, que c’est heureux, que la vie est ainsi faite et qu’elle sera toujours mon bébé, mais je ne peux m’empêcher de trouver ça trop rapide, trop brusque, trop émouvant.
Bientôt, ma fille sera grande, mais pas tout de suite, pas maintenant.
Comment avez-vous vécu les mille et un deuils qui parsèment votre vie de parent?