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Le corps comme un vaisseau : récit d’un accouchement calme.

Depuis quelques jours, je répète « Il s’en vient, je le sens. » Entre un souper de famille, un bain et une bonne bordée de neige,  je radote à mon chum qu’il ne retournera pas travailler de si tôt.
 
Depuis 5 jours, chaque nuit, c’est la même histoire. Je crampe aux 5 minutes. Après chaque bain ça se calme. Une heure plus tard, ça recommence. Un cycle infini. Je ne laisse même pas mon chum dormir, je ne suis pas capable d’être seule… Dormir m’obsède. C’est mon rêve, mon seul souhait.
 
Nous allons à l’hôpital. On me renvoie chez moi avec un calmant. Ça devrait m’aider à dormir et calmer mes fausses contractions pour me permettre de me reposer. « Si le vrai travail commence, le calmant n’aura aucun effet. »
 
Nous rentrons à la maison et nous nous couchons, enfin.
 
Le calmant ne fera jamais effet.
 
Pour une fois, je laisse mon chum dormir. Dans l’eau, alors que la douleur s’intensifie et se fait plus fréquente, j’ai l’impression d’entrer dans un autre espace-temps. Je transite d’une sensation à une autre en fixant le bord du bain. Je ne ressens aucun stress, mes craintes se sont dissipées avec la certitude que ça y est, j’accouche.
 
À un moment, je suis submergée d’une douleur tellement vive que c’est irréel. L’instant d’après, je sens tes petits membres bouger à l’intérieur de mon ventre et il n’y a rien de plus concret.
 
En nous rendant à mon suivi de grossesse prévu pour ce jour-là, nous traînons les bagages. Notre voiture n’a jamais été aussi inconfortable. Je cambre les reins, je voudrais m’accroupir. Je grogne probablement un peu, mais j’ai le souvenir d’un grand silence.
 
Mon chum conduit et je sens sa présence floue quelque part autour de moi. Il me guide, mais je me sens seule, connectée à mon monde intérieur.
 
Dans la salle d’attente du médecin, je peux enfin me tenir les fesses en l’air et me balancer librement. Le doc nous annonce que nous deviendrons parents aujourd’hui, probablement en fin de journée.
 
Le reste de la journée se déroule dans une chambre baignée de la lumière du soleil. Mon chum m’aide à respirer. J’attends mon épidurale.
 
On me pique dans le dos, je ne dois pas bouger. J’y arrive, je ne sais pas comment. Ma capacité de concentration est inégalable.
 
Et le sourire me revient dans un raz de marée de soulagement. Je me sens prête. C’est comme une méditation. Une danse avec des vibrations qui secouent mon corps en entier. Je suis à fleur de peau, mais je ne souffre plus. C’est l’expérience la plus charnelle que j’ai vécue.
 
Les lumières se tamisent, l’ambiance est intime. Le spot dirigé sur mon entre-jambes me fait l’effet d’une chandelle.

L’infirmière travaille sans relâche. Elle m’encourage d’une voix mécanique, mais compatissante. Je pousse. Mon médecin bâille entre mes jambes et me raconte qu’il a dû trouver une gardienne parce qu’il ne prévoyait pas que tu arriverais si tôt. Je me dis que tout va bien. Je pousse.

Mon merveilleux amoureux donne tout ce qu’il a en encouragements. Il est totalement dévoué et anxieux à côté de moi. Je pousse. Jamais je n’ai déployé autant d’énergie et de force en si peu de temps. Ça tourne tellement autour de moi que je dois fermer les yeux. Je dis à mon chum que je vais m’évanouir. Je dis à mon chum qu’il ne se passe rien. Je pense qu’il va s’évanouir à son tour lorsqu’il voit arriver ta tête toute chevelue.
 
Tu sors de moi, les deux bras dans les airs. Un instant d’éternité et de puissante chaleur. Exactement comme tu fais maintenant lorsque tu te réveilles le matin. Le grand étirement. Mon fils, tu as besoin d’espace on dirait. Mon chum, ton père, braille. Je braille en retenant mes larmes pour pouvoir mieux te regarder.
 
Tu as besoin qu’on nettoie tes voies respiratoires, vite. Je suis complètement hypnotisée lorsqu’on te ramène à moi. On me parle, mais je n’entends plus rien. Je suis sous le choc de ta petite vie qu’on vient de déposer sur mon cœur. Je regarde mon amoureux et ses beaux grands yeux mouillés, je suis perdue.
 
À ce moment précis où une petite croquette toute nouvelle et endormie me respire dans le creux du cou, je n’ai aucune idée de ce qui nous attend.

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