Même si j’avais soudainement l’impression d’exister, j’avais aussi l’impression d’être devenue un fantôme. Un ventre, une machine à bébé, un condensé d’attentes et de rêves. Et moi là-dedans? J’étais où?
Étais-je encore une femme, avec des rêves et des ambitions? Loin de moi l’envie de leur prêter de mauvaises intentions, mauvaises intentions qu’ils n’avaient clairement pas, mais je me demandais pourquoi j’avais l’impression que le mot « femme » avait été violemment projeté hors de ma vie pour faire place, exclusivement, au terme « maman », comme si l’un excluait l’autre.
Dans mon vocabulaire, les deux allaient de pair. Même mon copain et moi n’en parlions pas aussi souvent. Nous poursuivions nos activités, nos études, nos vies, en ayant bien entendu le bébé jamais très loin dans nos pensées. Mais les autres, c’est comme si leur alphabet ne pouvait désormais que former des phrases incluant les mots « bébé », « enfant » et « maman ». C’est comme si le reste n’avait soudainement plus d’importance.
J’ai aussi remarqué qu’on insinuait souvent que j’allais probablement cesser l’école durant une période s’échelonnant sur une durée tellement longue que je n’allais vraisemblablement jamais y retourner – ce qui est faux –, alors qu’on n’envisageait jamais ce scénario pour mon copain (le patriarcat est un mythe, hen?). On ME disait que j’allais être fatiguée de ME lever toutes les nuits et qu’il semblait clair que MON attachement pour MON bébé allait surpasser mon désir de terminer mon bacc et même d’avoir une carrière.
En ce moment, je suis certaine que plusieurs d’entre vous pensez : « Elle va voir quand elle aura son enfant. C’est vrai qu’elle n’aura plus envie de faire autre chose. C’est que ça accapare toute ton énergie, un enfant. » Et je n’en doute pas. Je ne peux même pas imaginer à quel point ce doit être exigeant. Mais mes parents m’ont eue lorsqu’ils étaient aux études. Et ils ont terminé. Et ils ont voyagé. Et je n’ai jamais été un obstacle à ça.
De plus, j’ai réalisé qu’on ne parlait pour ainsi dire jamais du père de cet enfant, qui ne serait pas le mien mais le nôtre, sauf pour me demander s’il avait peur. Comme si moi, je ne pouvais pas avoir peur. Comme si lui n’allait pas se lever la nuit, jamais. Comme si la seule émotion à laquelle on pouvait le coller était la peur. Come on. Dans un cas comme l’autre, c’était assez réducteur.
La femme qui devient maman reste une femme. Elle était une femme avant, elle sera une femme après. Et pendant. Ses ambitions peuvent changer et ses rêves se réorienter, mais ils ne disparaissent pas sous prétexte qu’elle épaule maintenant un humain à travers les dédales de l’existence. Comme disait de Beauvoir, on ne naît pas femme, on le devient. Et le « devenir » en question est une expérience constante qui ne s’achève pas au moment où une nouvelle vie prend place au sein de celle déjà existante. J’ai même l’impression que plusieurs choses débutent à cet instant.
Je sais que les gens n’agissent pas ainsi pour mal faire. Nous nous définissons nous-même très souvent comme « maman » d’abord et avant tout, mais il est important, je crois, de ne pas oublier l’humaine à part entière qui se trouve derrière.