Parce qu’on parle abondamment de la violence conjugale. De son cycle, de ses dommages causés durant la relation, de ce que les enfants vivent, de la lâcheté force d’endurer des femmes qui ont peur de quitter… Mais on parle rarement du après. Comme si une fois qu’on quitte l’agresseur, la vie reprenait son cours normal, comme si rien n’était arrivé et que la marée du changement avait effacé les mots et les coups.
C’est ce que je croyais. J’ai eu la force de le laisser, j’ai refait ma vie avec l’homme le plus extraordinaire du monde. On a eu un troisième enfant et on fait des balades en vélo en famille le dimanche après-midi et on va manger de la crème glacée. Le rêve américain quoi! J’ai traîné mes enfants en thérapie pour qu’ils puissent survivre à leur père. Mon garçon en avait grandement besoin, il était borderline trouble anxieux. Je me suis dit qu’eux avaient besoin d’aide, mais que moi, je ferais face à ça comme une grande et que cette nouvelle vie familiale quasi parfaite effacerait les maux et les peines.
Je me suis réveillée un matin, l’adrénaline de survivre pendant 8 ans était tombée. J’avais mal et je ne pouvais expliquer pourquoi. Je suis allée voir mon médecin et je lui ai expliqué ce qui m’arrivait, mais les vrais mots peinaient à sortir de ma bouche : je n’étais pas heureuse et je ne m’endurais plus. Puis, elle m’a dit : « Ce n’est pas que tu n’es pas heureuse, tu n’es pas satisfaite quand tu regardes ton parcours de vie. Tu dois faire la paix avec ton passé. »
Mon passé, je l’avais mis dans des boîtes de carton bien scellées dans les étagères de mon cerveau. Je refusais d’y toucher, de peur de vraiment me rappeler ce qu’elles contenaient. J’ai alors décidé à ce moment de les ouvrir et de panser les plaies. Pour y parvenir : médication pour la dépression, thérapie hebdomadaire en centre pour femmes violentées, du temps à moi (que je croyais une sincère perte de temps).
Je lui avais pardonné, lui. La personne qui me restait à pardonner, c’était moi-même. Me pardonner d’avoir fermé les yeux, d’avoir fait subir ça à mes enfants (parce que je me voyais responsable au lieu de lui), d’avoir perdu mon moi-même aux mains de cet agresseur.
C’est un chemin qui sera long et tortueux, mais j’en vois déjà les bienfaits. Et surtout, je vois qu’en m’occupant de moi, tout le monde semble en bénéficier. « Une maman qui ne va pas bien, ça donne souvent une famille qui va pas bien. », m’avait mentionné ma médecin, et malgré que je me le cachais, c’était vrai. C’était la pièce manquante du casse-tête. Mon garçon contrôle mieux son anxiété depuis que j’apprends à gérer la mienne.
Par contre, je me rappelle à la fin de la journée que je le fais pour moi. Je me sens égoïste de penser ça, mais en même temps, je sais que c’est ce que je dois faire. Penser à moi, après avoir passé 8 ans à m’épuiser, à essayer de satisfaire un homme violent jamais satisfait, et ensuite 2 petites personnes qui en avaient grandement besoin, c’est difficile.
Et c’est depuis que je me suis donné cette permission que je recommence à voir la vie en couleurs et qu’elle goûte bon à vivre. Et j’en viens même à croire au fond de moi que je le mérite.