À la radio, hier, un représentant de l’Unicef parlait de dessins d’enfants. Il expliquait que les enfants réfugiés arrivés en Europe recommençaient à dessiner des oiseaux, des maisons. Ils dessinaient moins de ruines et de corps explosés et recommençaient à penser à l’avenir. Ça n’arrivera jamais à Alan. Alan s’est noyé. Vous l’avez vu sur cette photo qui dissèque les cœurs des parents. À trois ans, je ne sais pas s’il a eu le temps d’apprendre à dessiner des oiseaux ou des cadavres.
Quand je suis allée à Alep et à Damas, bien avant la guerre, les enfants rigolaient, jouaient dans la rue et buvaient des sloches à l’orange, exactement comme nos enfants. C’était avant qu’on les dise migrants, comme on dirait cafards (shout out à cette amie de ma mère, à la question de son fils : « Maman, pourquoi tous les Arabes sont des cafards dans le spectacle de l’école? »).
À Alep et à Damas, il y avait tous ces gens qui vivaient exactement comme nous et qui aimaient leurs enfants assez pour les traîner sur des centaines de kilomètres et pour tenter de leur donner autre chose que le sang et l’horreur pour leur sauver la vie.
On écrira à tort qu’il a vécu une vie de terreur; les enfants aimés ne vivent jamais que des vies de terreur. Il a vécu trois ans en rigolant aussi avec son grand frère, en jouant, peut-être en dormant le popotin dans les airs, exactement comme nos enfants.
Mes parents ont dû remplir trois dossiers pour venir au Canada. Les deux premiers ont été refusés, mais mes parents avaient du temps, et pas le millième du désespoir de la mère d’Alan. Que certains aient l’indécence de juger alors qu’elle avait essayé de se faire parrainer par sa belle-sœur qui vit ici, alors qu’elle avait épuisé toutes ses options, alors qu’elle a préféré la possibilité de la noyade à la certitude du démembrement… Sa dernière certitude a été, justement, la noyade de ses deux enfants, et la dernière certitude de son fils Galip a été, à part sa propre terreur, la terreur de son petit frère.
Il y a quatre millions de déplacés syriens, des centaines de milliers de Galip et d’Alan encore vivants, de gamins qui aiment la sloche à l’orange et les nounours en salopette mauve. Exactement comme les nôtres. On ne peut pas les enterrer tous.
Et peut-être que Chris Alexander, notre bon ministre qui a reçu en mains propres la demande de parrainage de la tante d’Alan, est capable de laisser tomber d’autres refus assassins, mais nous ne pouvons pas simplement passer à autre chose.
Alors voilà, après avoir pleuré toute l’eau de nos corps, on peut essayer d’agir, en faire un enjeu électoral, exiger plus que 10 000 misérables places pour les enfants qui vont continuer à être vomis par les mers si on ne fait rien. Il faut signer ce qu’il y a à signer pour que revienne le temps des sloches à l’orange et des dessins d’oiseaux, même ailleurs qu’à Alep, à Damas ou à Kobané.
Serrez vos enfants fort, dans vos bras, avant de les mettre au lit et regardez-les s’endormir le popotin dans les airs… exactement comme Alan.
Pétition pour que le Canada respecte ses promesses d’accueil.
Des fondations d’aide aux enfants et aux réfugiés sont aussi répertoriées dans le billet de Jean-Philippe Morin.