La routine, avant, était absurde, abstraite, ailleurs, loin, loin.
Je m’efforçais de la tenir en dehors de mon couple. Pour la chasser, j’inventais des biscuits qui goûtaient le ciel. Je faisais claquer la boîte aux lettres avec du papier et de l’encre et des mots et de l’amour. Nous partions sur la go, sur un coup de tête, n’importe comment. Nous jouions à nous perdre. Nous étions perdus de bonheur, avant.
Parfois, la monotonie m’effleurait au travail. Elle s’appelait « 9 à 5 » ou quelque chose comme « 35 heures/ semaine » où s’enchaînaient des tâches répétitives : classer des livres, les cataloguer, les numériser, les élaguer. C’était bête. C’était une pilule à avaler, le temps d’une journée. Chaque soir, chaque weekend, la routine disparaissait dès que je mettais la serrure dans la porte.
Si bien que lorsque les lundis matins enclenchaient le retour à la quotidienneté, j’étais presque soulagée. La routine, je ne m’en plaignais pas, avant.
Puis le bébé est arrivé. Et plus rien n’est arrivé ensuite.
Tout s’est arrêté ou peut-être qu’au contraire, la vraie vie s’est amorcée. La vie réglée comme un chronomètre : levé tôt, ouvrage, repas, couché tôt et re-levé et re-ouvrage et re-re-repas.
On dit que la répétition des mêmes gestes est essentielle pour régulariser la vie des bébés. « Sur un terrain connu, votre tout-petit sera plus confiant et rentrera dans un état d’harmonie profond »; c’est ce que j’ai lu.
Les 17 derniers mois (bientôt 18 mois) n’ont été qu’une succession des mêmes actes comme si nous étions prisonniers d’un éternel jour pareil. Jusqu’à ce que j’en aie mon voyage et que nous partions, sur un coup de tête, en road trip.
Nous avons coupé le trajet en nous arrêtant à Saint-Jean-Port-Joli.
Crédit : Anne Genest
Nous avons déstabilisé l’horaire avec un 14 heures de voiture qui nous a conduit chez des amis en Nouvelle-Écosse. Quatorze heures à essayer de convaincre un bébé que c’est agréable de rester ficelé à son siège. Vingt-huit heures (et plus) à distraire une enfant dans la monotonie d’un paysage en loop. Une semaine à chambouler ses repas, son sommeil, son environnement.
Si bien qu’au bout du voyage, notre petite fille a fait rougir le thermomètre avec une fièvre intense, refusant de dormir et le jour et la nuit. Il nous a fallu trouver une pharmacie ouverte et les conseils d’un spécialiste. Et nous avons repris la route à l’envers, complètement épuisés.
Dans le mot « routine », il y a le mot « route ». Avant, jamais je ne m’en étais aperçue. Maintenant, je sais que pour la santé du bébé (et d’un couple avec enfant), il vaut mieux reprendre, jour après jour, le même tracé.