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Je n’ai pas de chambre juste à moi OU l’écriture avec un petit babe.
Crédit: Anne Genest

S’cuse-moi, Virginia (Woolf). S’cuse-moi de te tutoyer alors que 86 ans nous séparent l’une de l’autre. S’cuse-moi de t’apostropher (presque) avec cette lettre que je ne veux pas méchante du tout, juste vraie.

 

Je ne devrais pas t’écrire, ici, sur ce coin de table où traîne la vaisselle. Près du carnet où l’encre a déposé des mots qui forment des boucles, de la dentelle, comme à l’époque où les lettres existaient, la nourriture a laissé des éclaboussures qui sèchent en croûte. On dirait du sang.

Je voudrais m’excuser, Virginia, de prendre la liberté de t’écrire et de te tutoyer. Moi qui écris avec les moyens du bord, dans une maternité qui me fait ouvrir les yeux en les remplissant de lumière. 
 


Crédit : Anne Genest

 

Depuis que je suis mère, écrire n’est plus pareil. Il y a moins d’ombre. Comme si une part lumineuse s’était ajoutée et veillait. Je sens la vie courte et fragile. Et les moments de liberté, rares. Alors, je prends ces moments. J’en savoure chaque seconde. 

 

Je me sens loin de ces femmes à qui tu conseilles (dans ton essai Une chambre à soi) d’avoir « une rente et une chambre fermée par une serrure si [je veux] écrire une oeuvre de fiction ». 

Crédit : Anne Genest

J’aimerais que tu saches que j’écris (un peu) depuis presque deux ans un manuscrit. J’écris tôt le matin, appuyée contre la fenêtre, parkée dans le salon. J’écris jusqu’à ce que la voix de mon bébé petite-fille atteigne mes oreilles. Puis ses pas descendent l’escalier, suivent les enjambées de son père. Leurs voix se mêlent faisant taire mon stylo. La vie démarre : la course vers le service de garde où je laisse ma fille dans les bras d’une autre, toute la journée. Je travaille. 

Toute la journée je n’écris pas. Je garde les mots dans ma tête comme on retient son souffle. Je garde ma tête sous l’eau. Plus tard, seulement, quand la noirceur se sera couchée, j’écrirai sur le bout de la table, entre la vaisselle du repas, puis, sous l’édredon, dans le lit. Avec une lueur pâle et veillante et un restant de mots.

Je voulais, Virginia, que tu saches qu’en 2015 les femmes inventent et créent, sans rente ni chambre. Ce qu’il leur faut pour créer, ce n’est pas un lieu, mais un temps et la force de se tenir debout quand tout s’éteint et s’endort. L’écriture veille. Les lettres s’élèvent. Bonne nuit, Virginia!

Avez-vous une chambre ou un pièce juste pour vous? Où retrouvez-vous un peu d’intimité?

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