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Le jour où j’ai tué, métaphoriquement, mon père
Crédit: Michelle Marcoux

J’ai grandi avec ma mère. Je n’ai jamais connu mon père. Aucune photo, aucun contact depuis ma naissance.

Si le fait de ne pas connaître mon père m’a beaucoup dérangée pendant mon adolescence, je n’ai jamais ressenti le besoin de le chercher. Son existence et les raisons de son absence étaient sujets tabous à la maison.

L’absence de mon père m’a rendue critique face aux femmes qui choisissaient d’avoir un enfant sans père. Lorsqu’on me demandait si je désapprouvais, je répondais oui, sans nécessairement m’expliquer. Quand on insistait pour connaître mes raisons, je répondais seulement que j’avais trouvé très lourd de porter seule le poids de l’amour de ma mère et que je m’étais toujours sentie trop responsable de son bonheur.

Crédit : Michelle Marcoux
 

Quand j’ai eu mon premier enfant, je me suis questionnée beaucoup sur comment j’expliquerais à mon enfant pourquoi il n’avait pas de grand-père maternel.

Puis, j’ai eu un deuxième, un troisième et un quatrième enfant.

Mon aîné avait 9 ans la première fois que l’absence de mon père a été remarquée. La première fois que mon fils m’a demandé où était mon père, je n’ai pas su quoi répondre. Je ne voulais pas entrer dans les détails de la vie passée de ma mère ni sur le choix qu’elle avait fait de devenir enceinte à l’insu de mon père. Je ne voulais pas expliquer que la relation de ma mère et de mon père n’était que charnelle et que ma mère avait décidé que si mon père pouvait prendre son pied avec elle régulièrement, elle obtiendrait aussi quelque chose de leur relation : un enfant.

Quand la question m’a été reposée par mon garçon, j’avais eu le temps de réfléchir et de choisir une réponse qui me convenait. Une réponse qui mettrait fin aux questionnements et qui me permettrait de ne plus devoir en parler avec lui.

Ce jour-là, j’ai tué mon père métaphoriquement. Je l’ai fait mourir de cause naturelle, expliquant qu’il était malade et qu’il était mort avant ma naissance. 

Si la réponse l’avait satisfait, je ne m’attendais pas à la suite. Je ne m’attendais pas à ce que ma mère, que mon fils s’était donné comme mission de « consoler » de cette mort, allait le ressusciter.

J’avais choisi de faire mourir mon père parce que je n’avais pas envie d’expliquer à mon enfant que mon père n’avait pas voulu me connaître ou s’impliquer dans ma vie. Je ne voulais pas que mon fils sache que ma vie entière, j’avais souffert de l’absence de ce père que j’idéalisais sans le connaître alors que je n’étais qu’une enfant. Je ne voulais pas qu’il ait pitié de moi ou de sa grand-mère ni qu’il découvre si jeune que tous les enfants ne sont pas désirés par leurs deux parents.

J’avais fait le choix de tuer mon père pour m’éviter de ressasser des émotions que je croyais bien enfouies dans mon passé. Je ne voulais pas me retrouver dans une tourmente identitaire ou pire encore, être prise d’une envie soudaine de retrouver l’homme à l’origine de ma vie.

Malheureusement, un peu comme si ma mère s’était senti investie du devoir de rétablir les faits et de consolider son choix, elle a exposé SA vérité à mon fils, me laissant bien démunie devant le tsunami de questions que cette nouvelle vérité avait suscitées.

Aujourd’hui, mes enfants savent que mon père n’est pas vraiment mort. Ils savent aussi que j’ai grandi avec une pièce manquante de mon histoire. Et si au départ ils ont été déboussolés par l’histoire de leur mère, aujourd’hui ils viennent régulièrement me consoler de cette absence qui a assombri mon enfance et mon adolescence.

Maintenant, il ne me reste qu’à attendre les questions qui viendront quand ils seront plus grands et qu’ils voudront encore mieux comprendre comment et, surtout, pourquoi une maman peut décider d’avoir un enfant sans papa. Et comment ça a pu m’affecter moi, leur maman.

Avez-vous déjà été confronté à une situation du genre? Comment avez-vous réagi?

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