Le sang aurait pu être un détail, une tache en forme de point, sur le carrelage froid de la salle de bain. Seulement, cette goutte couleur de vie, je l’ai attendue (et j’ai cessé d’y croire) pendant dix ans. 

Il a fallu que deux ans m’espacent de la naissance de mon bébé pour que mon cycle ovarien s'active soudainement (un peu comme mon cœur). Moi qui le pensais arrêté ou pétrifié cet utérus-là. Voilà que le niveau de mes hormones chute brutalement. Voilà que mon endomètre se détruit, naturellement. Et que le tissu muqueux de ma cavité utérine se renouvèle. Est-ce une fin ou un début? Je ne sais plus. 

C’est un point rouge tombé d’entre mes jambes, un soir de printemps. Au moment où, à peine habillée, enveloppée dans un peignoir blanc, je donne le bain à mon bébé-ange. Soudain, ploc! Une larme chaude s’écoule d’entre mes jambes. Et re-ploc! Ça se met à ruisseler abondamment le long de mes jambes. Comme si une brèche avait été formée.
 

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Dans la baignoire, Laure et ses deux ans de vie miraculeuse ne s’aperçoivent de rien. Dehors, la lune ronde et blanche demeure immobile. Il neige. L’hiver s’accroche comme au moment où une vie a été expulsée hors de moi, pour la première fois. À travers la fenêtre, l’astre blanc et son point lumineux veille.

Je pense « mon corps marche! ». J’aurais voulu le crier par la fenêtre. En ce mois de naissance (mois de mars), mois où j’ai donné la vie il y a pile-poil deux ans, mon utérus décide de se remettre en ordre. J’aurais voulu le dire à Laure. J’aurais voulu qu’elle voie dans ce sang en perte, avec ses yeux au regard propre, vierge et neuf, la beauté de ce battement d’utérus.

Des larmes de joie se mettent à couler sur mes joues. Je vois toutes les phrases inachevées sans point final que j’ai écrites depuis le début de ma maternité. Le sang qui s’écoule maintenant abondamment. Laure pointe du doigt la tâche couleur carnage et demande : « Quoi ça? ». 

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Toutes sortes d’idées me viennent. Spontanément je pense qu’il faut lui cacher cette réalité. Il faut censurer ce détail du réel trop complexe pour l’imaginaire d’un bébé-enfant. Puis, j’ai le goût d’être franche avec ma fille. J’ai le goût qu’elle perçoive dans ce cycle menstruel en marche non pas de l’impureté, dont il est trop souvent associé, mais la beauté du corps comme un réglage. Je veux que ma fille voie la fécondité dans toute sa complexité. Et je réponds à Laure : « Ce sang, c’est moi. C’est toi. C’est nous. C’est maman et c’est grand-maman. C’est notre chaîne humaine. » Laure plisse les yeux et ajoute : « C’est beau! »

Quelles réflexions suscitent les menstruations chez vous?