Je vous le dis d’emblée : j’ai vécu des morts qui arrachent le cœur. J’ai perdu ma petite sœur de 15 ans en 2001 et ma fille quelques jours après sa naissance en 2011. Avant la mort de ma sœur, j’étais de ceux qui pensent que « ça n’arrive qu’aux autres ». Après son décès, je me suis dit que, puisque ça m’est arrivé une fois, je suis en quelque sorte immunisée. Quand ma fille est décédée dix ans plus tard, j’ai perdu toutes mes certitudes. Désormais, la question n’était plus de savoir si la mort frapperait à nouveau, mais plutôt quand elle le ferait.
Ça m’a pris 14 mois avant de me sentir prête à me relancer dans l’aventure de la maternité. Je l’ai fait la peur aux tripes, mais j’avais eu le temps de panser (un peu) mes blessures. J’ai vécu une grossesse mi-stressante, mi-pas-si-pire. Par moments, j’arrivais à contrôler ma peur du drame. À d’autres moments, j’étais certaine que j’allais faire une fausse couche, que mon bébé aurait des malformations congénitales, que le cordon l’étoufferait ou encore que le placenta allait lâcher à nouveau. Le 8 juin 2013, le docteur a déposé sur moi un beau bébé gluant, hurlant et en parfaite santé. Jamais je n’oublierai le sentiment de soulagement qui m’a envahie à ce moment. Mon fils était vivant. Mais voilà, le soulagement est reparti presque aussi vite qu’il est arrivé.
Je suis devenue obsédée par la mort subite du nourrisson. Je ne pouvais pas dormir la nuit. Je me réveillais en sursaut, certaine qu’il était mort pendant que je ne le regardais pas. Il m’est même arrivé de le prendre dans son sommeil et de hurler à son papa de venir, tant j’étais convaincue qu’il ne respirait plus. Aujourd’hui, mon fils a presque 3 ans et je m’affole un peu moins, respire un peu plus. Mais il m’arrive encore d’avoir des crises de panique durant lesquelles j’imagine toutes les façons dont il pourrait m’être arraché. Ça dure quelques heures, quelques jours, et puis ça passe. Je ne suis pas une mère hyper « contrôlante » ou toujours à côté de lui pour le protéger. Je tente de garder mes peurs pour moi, mais elles sont là et il arrive parfois qu’elles m’étouffent.
Je suis enceinte d’une deuxième petite fille qui arrivera d’un jour à l’autre. J’ai réussi à vivre une grossesse plutôt sereine, la naissance de mon fils me rappelant que je suis capable d’avoir des enfants vivants et en bonne santé. Sauf que souvent, le vertige me rattrape. Et si elle aussi, elle mourait? Je redoute déjà les nuits sans sommeil à appuyer constamment ma main sur sa poitrine, j’angoisse pour le futur.
Alors, je me demande : à quoi ai-je pensé quand j’ai voulu faire un troisième enfant? Je me dis que je joue avec le feu parce qu’il y a maintenant deux fois plus de chances que tout s’écroule à nouveau. Que je fasse un faux pas, que j’aie un moment d’inattention de trop, que la maladie frappe, qu’ils soient à la mauvaise place au mauvais moment et que sais-je encore. J’ai beau me dire que, statistiquement, mes enfants ont plus de chance de vivre que de mourir, je n’y crois plus, aux statistiques. Alors tous les soirs en m’endormant, j’implore la Vie avec un grand V de donner vie et santé à mes enfants. Qu’ils soient à mes côtés quand je mourrai vieille. Et j’espère que, cette fois-ci, le drame passera son chemin.
Et vous, comment vivez-vous la peur qu’il arrive quelque chose à vos enfants?