Le jour suivant mon accouchement, je n’ai pas pris de photos. J’étais incapable de me tenir debout, incapable d’ouvrir les yeux.
Quarante-huit heures après avoir accouché par voie basse, sans épidurale, je me suis levée. Je suis allée voir dans la minuscule salle de bain où, lors des contractions, j’avais vomi si longuement. Là, dans ce lieu où planait encore une odeur de vomi, j’ai vérifié de quoi j’avais l’air. Moi, la fille qui avait mis sept ans à rêver d’accoucher et qui finalement avait réalisé son souhait, j’avais la gueule bleuie, celle d’une fille qui venait d’accoucher, celle de la mère que j’étais devenue.
J’ai vu les yeux que je peinais à ouvrir. J’ai vu les vaisseaux sanguins éclater dans mes pupilles. J’ai vu les pétéchies immondes (j’ai cherché le mot dans le dictionnaire). J’avais les yeux injectés de sang. Bref, je me suis vue.
J’ai eu peur. Le sang, dans mes yeux, me donnait l’apparence de quelqu’un qui avait été battu. Et c’est ce que j’étais. Une femme que l’expérience de l’accouchement, enfin réalisé, avait rendue K.-O.
J’ai eu peur de rester ainsi marquée. Pendant les jours qui ont suivi l’accouchement, je me suis enfermée chez moi. Je n’ai reçu personne, aucune visite. J’ai attendu que disparaisse le sang dans mes yeux. Je ne savais pas que l’accouchement pouvait briser un corps à ce point.
J’ai pensé aux paroles d’une amie : « enfanter ruinera ta silhouette ». Et j’ai compris. J’ai vu mon visage catastrophé. Ridé, cerné, abattu. Les larmes ont coulé sur mes joues. Et j’ai pensé « qu’as-tu fait là ?». Pleurer me brûlait les yeux. J’ai pensé : « tout cela, je l’ai voulu. C’est de ma faute. » Et j’ai ri de moi. J’ai ri de la fille qui se disait que l’apparence ne comptait pas. Je me suis vu avoir ces yeux toute la vie. Et je me suis dit que je ne supporterais pas.
Je n’en ai pas parlé. Ou peut-être que si, un peu, deux ou trois amies sont venues et m’ont vue. Je n’ai rien dit.
Maintenant, je l’écris. Parce que j’aurais aimé qu’on me le dise : mettre au monde ne saccage pas seulement le ventre. Tout le corps y passe. Jusqu’au détail des yeux.
Comment l’accouchement a modifié votre corps?