Il fut un temps où j’étais jeune, semi-mince et carefree. J’avais la possibilité de me coucher tard parce que j’avais écouté trois saisons de 30 Rock d’affilée ou parce que je revenais d’une soirée bien arrosée. Et parfois, après une longue semaine de travail, j’osais dire à voix haute : « Ouf, j’suis fatigué ces temps-ci. » Malheur à moi si j’avais osé proférer ces mots interdits devant un parent. Immédiatement, une voix stridente et légèrement psychotique résonnait, affirmant alors :
« Attend d’avoir des enfants, tu vas comprendre le sens du mot “fatigué”. »
Ce genre de phrase me blessait beaucoup, parce que pour moi, elle signifiait une chose : je ne méritais pas d’être fatigué. La vie que je menais ne méritait pas la fatigue. Ouch la confiance en soi.
Maintenant je suis de l’autre bord. Je suis un parent moi aussi. J’ai un enfant et, yes God yes, je suis fucking fatigué. Tout ce qui a été dit est vrai, ma grand-mère avait raison. Du moment où votre p’tit arrive sous votre toit, vous ne dormez plus de la même façon. Il faut le nourrir toutes les deux, trois heures. Certains toutes les heures à ce qu’on dit. D’autres font leur nuit dans les premières semaines à la maison (mais eux ils font chier avec leur bonheur, alors je ne les écoute pas).
Nourrir un bébé la nuit, ça veut dire se lever, préparer le biberon ou la boule, selon votre sexe ou choix personnels, marcher dans le noir pis rester réveillé pendant que le petit boit son lait, sentant la chaleur de cette petite boule humaine lovée contre soi, complètement abandonnée à votre bonne volonté. Après avoir fait le rôt et vous être fait asperger de vomi, vous devez changer son pyjama, sa couche, l’endormir puis laver le vomi qui a coulé sur votre belle chaise berçante Dutailler blanche que vous avez eu la brillante idée d’acheter parce que c’est donc beau le blanc dans une chambre de bébé. Pis après ben, guess what, le temps que vous vous endormiez, il va se réveiller parce qu’il a faim, encore. Ah le cher ange!
Et quand votre bébé dort plus d’une heure, vous êtes agrippé d’une peur viscérale et une anxiété folle. Le bébé ne fait aucun bruit, conclusion : il est mort. Donc, vous vous levez ou vous suppliez votre conjoint d’y aller parce que vous avez trop peur et vous tapotez un peu le bébé, juste voir s’il respire et là ben, oups, il se réveille et vous devez passer une bonne trentaine de minutes à le rendormir en vous traitant de gros épais. Mais au moins, il est vivant, donc un point pour vous! Qui plus est, au travers de toute cette fatigue pesante, vous devez continuer de jouer et stimuler votre enfant – afin qu’il puisse un jour devenir président des États-Unis –, et le garder en vie en évitant qu’il plonge sa fourchette dans une prise électrique.
Alors, qui mérite le trophée du « plus fatigué »? Est-ce la maman de l’île-des-Sœurs qui doit faire des cupcakes pour la fête de l’Halloween à l’école, tenter de donner un bain et coucher tous ses p’tits avant 8 h et perde 10 lb avant le mariage de sa meilleure amie ou bien le serveur qui vient de faire un double chiffre parce que la p’tite nouvelle n’est pas rentrée et ce, malgré le fait qu’il était encore hangover de la veille? C’est ben certain que chacun tire sur son bord de couverture afin de prouver que c’est LUI le plus fatigué, particulièrement sur les réseaux sociaux où les commentaires haineux affluent des deux parties.
J’ai l’air de vous juger toute la gang, mais je comprends dans le fond. Je comprends ce besoin intense que nous pouvons ressentir quand nous vivons une situation de fatigue éprouvante, ce sentiment que le monde entier devrait reconnaître notre fatigue, notre peine, notre misère. Nous voulons que les gens nous consolent et nous disent que nous faisons une bonne job, pis de ne pas lâcher, mais malheureusement, ça ne marche pas de même.
Chacun a sa vie à vivre, sa fatigue personnelle, ses tracas et la plupart du temps, les gens ne remarquent pas à quel point vous êtes fatigué. Cette fille célibataire s’occupe peut-être de sa mère gravement malade. Ces parents-là ont peut-être un garçon TDAH et une adolescente dépressive. Cette femme-là n’est pas capable d’avoir des enfants.
Vous voyez, chacun a son histoire et sa raison d’être fatigué. Sauf que ce n’est pas un concours. Il n’y a pas de prix à la fin pour celui qui était le plus fatigué. Vous ne gagnez pas de vacances payées pendant trois mois pour vous reposer parce que vous étiez DONC épuisé. Il n’y a pas de raison de se dire : « moi j’suis ben plus fatigué que toi. »
La seule affaire que je dois admettre, c’est qu’un parent dort moins que quelqu’un qui n’a pas d’enfant, donc il a moins de chance de se faire tuer par Freddy Kruguer dans ses rêves.
Et vous, quelle est votre raison d’être fatigué par les temps qui courent?