Aux premiers jours de vie de mon héritière chérie, j’me suis presque cru le prochain prodige de l’histoire de la photographie. Il y a des journalistes de guerre, il y a le gars de Humans of New York, pis il y a moi, qui allais réinventer le genre du roman-photo familial. Modestie much?
Encore flabbergastée du high naturel de mes endorphines, j’avais la constante impression que l’instant méritait d’être immortalisé (et partagé sur Instagram). S’il n’était pas à pétrir mes douloureux canaux lactifères, mon index se démenait sur le piton de la caméra, autant par enthousiasme que par nécessité.
Puis, doucement, au fil des jours, mon sujet si statique et si parfait s’est mis à bouger. D’abord imperceptiblement. À peine assez pour justifier un bon gossage de zoom en règle. Mais, avec le temps (et son développement fulgurant) c’est l’aperture, la focale, l’iso et la couche Elmo qu’il fallait changer avant de réussir à prendre un cliché que j’allais pas scrapper.
J’ai d’abord mis le blâme sur mon appareil trop fancy que j’ai vite échangé pour un automatique cheapette. Mais l’adieu à l’Olympus n’a rien changé. C’était le drame, un peu. De plus en plus.
J’astiquais ma lentille, mettait la faute sur l’éclairage, l’angle, le white balance, la pression atmosphérique, ma stabilité physique, ma stabilité mentale. Rien à faire. Chacune des photos de ma fille était dorénavant FLOUE.
Et lorsque la photo l’était moins, alors ma fille-presque-pas-brouillée avait deux faces, l’une regardant vers le haut, l’autre avec les yeux mi-clos. Une tâche de prune sur le t-shirt. En larmes. Sur le sol. Au bord du bacon. Déjà que j’avais perdu le quotidien de mon ancienne vie, je perdais maintenant le focus comme on perd le nord ou la raison.
Rien à voir avec l’éclairage, l’angle ou le white balance. Tout à voir avec la vélocité, la ténacité et l’impossibilité de contenir cette petite force de la nature.
Dans un éclair de lucidité, j’ai décidé que je pouvais faire mieux qu’abdiquer. Je pouvais accueillir le flou. Être le témoin privilégié de cette étonnante rage de vivre qui refuse de se faire contenir dans un format 4X6. Chroniquer sur sa passion des chèvres et du pudding au chocolat. De dos. En surexposition. Mal cadrée. Et trouver de la beauté et de l’harmonie dans cette nouvelle imperfection.
Dans nos souvenirs, on sera la famille floue. Celle qui avait tellement de fun à chercher les escargots qu’elle en a oublié de faire la mise au point. Question de priorités.
Vous avez une photo préférée? Est-elle floue et mal cadrée?