Mon père et moi n’avons pas toujours eu une vraie relation père-fille. D’aussi loin que je me souvienne, nous avions beaucoup plus de facilité à se crier après qu’à se parler comme un père et sa fille sont censés le faire. Je n’étais pas une enfant très difficile, mais mon adolescence fut chaotique. Pour eux. Pour moi. J’étais révoltée et j’en faisais baver à tout le monde. Et c’est avec mon père que ça explosait le plus.
À presque 28 ans, avec beaucoup de recul (et un brin de maturité de plus), j’ai réalisé beaucoup de choses sur mon papa. J’ai compris des choses sur son passé. Malgré toutes les engueulades, les cris, les larmes, j’ai réalisé à quel point il avait toujours été présent pour moi. À toutes les étapes de ma vie.
Je pense notamment à cette année du primaire où mon nom était gravé sur tous les murs des toilettes de mon niveau à l’école. Le lendemain, il était avec le directeur, dans les toilettes, pour le forcer à faire changer les murs. Le surlendemain, les toilettes étaient hors d’usage : on changeait les murs. Ou encore, ce jour où un gars que je fréquentais quand j’étais adolescence m’a empoigné le bras assez violemment. Le gars en question n’a jamais remis les pieds chez moi ou même sur ma rue. Il y aussi cette fois, quand j’étais enceinte de cinq mois. Je vivais à Montréal et je devais (re)déménager dans mon patelin, aka Gatineau, dans un mois. Quand un de mes trop nombreux colocataires à commencer à voler la bouffe de mes épiceries, je l’ai appelé en larmes. Quelques jours plus tard, il arrivait à Montréal avec ses amis pour m’aider et me ramener à la maison.
Je mentirais si je disais que l’arrivée de mon fils n’y est pour rien. Sans frère et ayant eu deux filles, avoir le premier petit garçon dans sa famille, ça a été quelque chose. Il a même assisté à mon accouchement. Et ça se ressent quand je regarde mon père avec son petit-fils.
Mais le plus beau cadeau que mon père m’ait fait, c’était il y a deux ans. Ma sœur et moi avions eu un gros conflit. Je ne lui adressais plus la parole. Et mes parents m’ont alors demandé de les rencontrer. Et, ce soir-là, une chose en amenant une autre, les non-dits de tellement d’années se sont libérés. Et j’ai tout lâché. Après presque 15 ans dans le secret, je l’ai dit : « Je me suis fait agresser, sexuellement. »
Il y a eu un silence. Celui où l’on peut entendre une mouche voler. J’ai vu ses yeux se remplir de larmes. J’ai vu l’incompréhension sur son visage. Je me doute fortement, étant mère moi aussi, du coup au cœur qu’il a dû ressentir, ce soir-là. Et c’est là qu’il m’a dit : « Pourquoi tu ne me l’as jamais dit ? » Parce que personne ne me croyait.
Nous n’avons jamais reparlé de cette histoire. Il n’a jamais posé de questions. Par contre, ce soir de mars, j’ai ouvert une porte de mon histoire à mon père. Il n’a jamais changé son regard sur moi. Mon père me regarde toujours comme sa fierté, son trésor. Il veut toujours autant mon bien. Et nous avons une vraie relation père-fille. Et pour moi, ce sera toujours le plus beau cadeau qu’il ne m’ait jamais fait.