Lors d’un voyage dans le nord du Bénin en 2004, je décide de partir en expédition et de suivre un sentier menant au sommet d’une petite montagne. En route, je croise un groupe de jeunes femmes béninoises qui descendent le chemin en direction opposée, probablement se rendant au marché du village voisin.
L’une d’entre elles est seins nus, tient d’une main un énorme ballot de branches en équilibre sur sa tête et de l’autre, allaite son petit bébé âgé de quelques semaines seulement. Elle avance comme ça, depuis je ne sais pas combien de temps, des heures peut-être, en gougounes dans les cailloux.
Nos regards se croisent, se scrutent un instant. Elle me sourit de ses énormes dents blanches.
Le décalage entre nous est vertigineux.
Le groupe de femmes rigole, elles aussi trouvent la situation absurde. Et moi, je me trouve soudainement si ridicule, avec mes bottes de marche hightech, ma gourde et ma sueur dégoulinante de crème solaire. Moi, l’intrus, la voyeuse, celle qui envahit sans permission leur montagne, leur monde, leur intimité.
La femme m’offre à boire, j’accepte et la remercie. Nous nous serrons la main amicalement et poursuivons chacune notre route.
Je repense souvent à ce moment depuis que je suis mère. Quand je pense que moi, durant les premières semaines de vie de ma fille, j’allaitais, évachée sur le divan du salon, en jouant à Zelda sur mon vieux Nintendo 64!
Un monde nous sépare, mais un monde nous relie aussi. Toutes deux avons porté un enfant, vécu un premier accouchement, dans la douleur, dans la peur sûrement aussi, un peu. L’apprentissage de l’allaitement. Les doutes, les inquiétudes par rapport à l’avenir. Le poids des responsabilités. Les nuits blanches. La fatigue. Le besoin de soutien. Les discussions entre amies, entre sœurs. L’amour inconditionnel pour un petit être.
Elle et moi, unies dans notre féminité et notre maternité, pourtant si extra-terrestre l’une de l’autre.