C’est le théâtre des opérations.
Le cœur névralgique de ma maison. Là où tout passe, où tout casse. Du pain, des discussions, des rêves et des illusions, y’a des miettes de tout ça sur la table où nous mangeons.
Évidemment, on y a mangé en tête-à-tête, en famille, entre amis, entre gens de bonne volonté.
On y a pris nos plus grandes décisions. Si on se mariait? Si on partait? Si on passait directement des plats aux draps question d’aller voir si l’appétit viendrait en se collant?
Mais voilà, dernièrement, on ne s’y assoit plus du tout comme avant.
Après une courte période suivant la naissance où on ne s’y assoyait tout simplement plus, nous sommes revenus, à trois, troquant le cristal et le quatre services pour la chaise haute et le repas approximatif.
À l’arrivée de notre fille, y’avait trois choses de claires. On lui apprendrait la tolérance et le respect. On lui apprendrait l’importance de l’expression et de la création. Et on lui apprendrait le bonheur de manger et de cuisiner. Le plaisir d’un repas partagé. Des saveurs échangées. Des discussions qui se glissent entre les petits pois et le porc braisé.
L’idée de départ était noble et l’issue, inattendue. Si ma fille à découvert le sucré et le salé, le croquant et le coulant; j’ai découvert, moi, une dimension cachée à ma table, une dimension que je ne lui connaissais pas, remplie de fous rires, d’exaspération et d’émerveillement.
1. Des débuts crottés (7 mois de vie)
J’ai vu la DME faire des tableaux abstraits sur notre table et notre plancher jadis propres et immaculés.
Composition d’avocats sur régurgi nouillu. Installation grand format. Matériaux divers. 2014.
J’ai lavé et frotté une chaise, un bavoir, un bébé enduits des mixtures grumeleuses et variées.
Chaque sieste me permettait d’inventer une boulette farcie de nouveauté qui ferait naître une grimace, un sourire, un dégât d’envergure cosmique.
Lorsque la Merveille a pris conscience de son individualité et qu’elle s’est mise à distribuer des « non » à la volée, j’me suis retrouvée avec une longue période de quasi exclusivité. Cerises et jambon only, pour de longues semaines. Cerises et Jambon, Jambon et Cerises. That was it. Ou presque. Adieu l’amour du quinoa et des légumes racines. J’ai obtempéré, me disant que ce n’était pas un combat que je voulais mener et que la gourmandise finirait bien par pointer le bout de son nez.
L’équivalent des premiers pas en matière de repas. On se découvre, à table, à trois. On transgresse les frontières, on pique dans l’assiette de son père. La fourchette, la cuillère, la pelletée de bouffe par terre. Le yogourt sur le steak, sur la poire, sur la frite; l’explorateur alimentaire ne recule devant aucune bouchée, même si c’est juste pour finir par la recracher.
Crédit: Julie Marchiori
4. L’heure du joyeux festin (30 mois de vie)
Le concours de grimaces a remplacé les longs silences amoureux. Je vois un peu trop souvent une bouche ouverte sur une hécatombe de carottes mâchées. Mais rien ne remplace cette pêche qu’elle veut me faire goûter alors qu’on chante encore Petit Escargot et qu’elle me raconte les détails de sa journée.
Tard le soir, il m’arrive de sortir un morceau de gâteau une fois la Merveille couchée. De le manger en solo, en silence, debout, accotée sur le comptoir. Je regarde ma table vide, propre, plongée dans l’obscurité. Et c’est en pensant au prochain déjeuner plein de rires, de cris et de découvertes que je vais me coucher.
Vous avez des rituels de repas que vous adorez? Une histoire de bébé crotté vraiment trop drôle pour ne pas être racontée?