Il y a un peu plus de dix ans, j’ai choisi de me faire avorter.
Certaines choses dans la vie échappent à toute prédiction. Une contraception défaillante. Une pilule du lendemain qui ne fait pas effet. Surtout, on ne prévoit pas le regard gris, glacial et fuyant de l’homme qui ne voudrait pas être le père. Ce gouffre qui éteint tout espoir de vie lorsqu’on lui annonce qu’on la porte en soi.
J’aurais pu faire autrement. Me détourner de ce regard et aller de l’avant seule, comme une grande. J’ai plutôt choisi, pour des milliers de raisons, d’être la meilleure maman possible à ce moment : celle qui ne donne pas la vie.
J’ai rapidement tourné la page sur ce triste évènement et sur cette relation stérile. L’image de ce petit bout de vie qui a séjourné en moi trois semaines s’est estompée. Cet épisode a rejoint la nébuleuse de mes souvenirs.
Crédit : Greg Rakozy/Unsplash
Près de dix ans plus tard, je suis enceinte, à nouveau. Cette fois, accompagnée d’un regard aimant et bienveillant. Un regard qui donne à grandir. Ma grossesse se déroule bien, malgré son lot de petits soucis.
Je n’avais pas souvent repensé à cet enfant que j’avais choisi de ne pas mettre au monde. J’étais parfaitement à l’aise avec mon choix et il ne me hantait pas. Sauf que les formulaires de suivi de grossesse sont conçus de façon étrange. On y indique l’ensemble de l’historique reproductif d’une femme, incluant les IVG (interruption volontaire de grossesse).
Source : MSSS Québec
À chaque rendez-vous chez le médecin, ce chiffre semblait me narguer. Il était le témoin que le bébé dans mon ventre n’était pas le premier. Quand on me demandait : « c’est votre première grossesse? », je ne savais plus quoi répondre. Je me sentais fragilisée émotionnellement par les changements d’hormones. Je me suis mise à culpabiliser en repensant à ce petit être.
Pourquoi je ne l’avais pas choisi, lui ? J’essayais de rationaliser. De me rappeler toutes les bonnes raisons pour lesquelles j’avais fait ce choix. Rien à faire, le chiffre sur le formulaire témoignait de mon histoire et me faisait mal.
Plus bêtement encore, je me demandais si le fœtus que je portais sentait qu’il n’était pas le premier. Mon utérus portait peut-être les traces du passage de cette autre vie au triste destin. Et si mon bébé avait peur de connaître le même sort? J’avais peur d’être punie, de perdre l’enfant que je portais alors qu’il était désiré. Peur qu’il s’en aille. Alors je lui parlais. Je lui disais de ne pas s’inquiéter. Qu’il était le bienvenu. Qu’il vivrait, lui…
Le cœur prend de drôles de détours pour guérir ses blessures. Avoir porté la vie m’a aidé à faire le deuil que je n’avais pas pu faire au moment de mon avortement. Maintenant que je vois tout ce que ça implique d’avoir un enfant, je me sens apaisée. J’ai pu me réconcilier avec mon passé, avec mes choix et avec l’idée de cette petite étoile qui ne sera pas née.