Depuis toujours, je suis une fausse cartésienne. J’ai besoin de faits clairs, de données, de statistiques pour baser mon jugement, pour comprendre comment ça marche. Mais j’aime quand c’est beau, quand ça tombe bien, quand c’était « meant to be ». Lorsqu’il y a une symétrie ou un enchaînement qui raconte une jolie histoire, je me sens alors protégée. Comme si le fait que les choses se passent à ce moment-là était trop parfait pour que ça puisse planter après, ça viendrait rompre le beau, le droit, le bien aligné.
Je voulais un deuxième enfant. Quand je suis tombée enceinte de mon aîné, c’était une évidence, ça tombait bien, ça tombait beau. Un essai, un soir, une seule fois et neuf mois plus tard, je tenais dans mes bras mon bébé. Quand j’ai voulu un deuxième, même enchaînement : premier mois d’essai, premier test de grossesse positif.
Sauf que, parfois, ça a beau faire joli, ce n’est parfois pas suffisant. Première perte. Premier chagrin. La vie continue et le mois prochain, ce sera nos 10 ans de rencontres. Ce serait beau, ça, concevoir pour nos 10 ans! Mon ovulation approuvait, mais pas la nature.
La prochaine fois! J’ai très envie d’être enceinte avant les deux ans de mon aîné, ça me laisse un mois supplémentaire. Le jour de l’anniversaire de mon fils, le test est négatif. Mais le jour de sa fête le week-end qui suit, une jolie petite ligne apparaît. Ça fait beau, je trouve, c’est une deuxième ligne qui me correspond. Elle est un peu en retard, mais au final, elle est là et c’est ce qui compte. Moi qui suis toujours en retard de cinq minutes.
Sauf qu’une fois de plus, l’histoire se perd. C’est tout moche. Ça n’enchaîne pas. Ça n’a pas grandi. Ça s’arrêtera là. Le plus gros deuil, c’est sûrement celui du beau. Perdre la douce assurance que si ça tombe bien, c’est plus sûr, c’est moins risqué.
Aujourd’hui, je ne vois pas quel est l’ordre des choses et pourquoi dans ma vie, y a une petite zone de moche, une tâche qui, même à force de gratter, laissera une trace. C’est parfois le pire dans les situations difficiles, le fait que peu importe la suite, elles feront partie de l’histoire, et que l’histoire ne sera plus jamais tout à fait aussi belle.
Ces quelques mots, je les ai écrits il y a maintenant 9 mois. Après une visite et une échographie qui m’annonçaient que l’embryon était trop petit, deux semaines moins développé que ce qu’il aurait dû être. J’ai écrit ces lignes pour me soulager de ce poids, et de toutes ces larmes versées au cœur de la nuit, après ce rendez-vous.
Ces mots, à l’époque, me déchiraient. J’étais accablée par le chagrin, désespérée. Aujourd’hui ces mots me donnent espoir, et je me dis qu’ils peuvent en donner à d’autres peut-être. Car, quand en entendant les mots du médecin, j’entendais le pire, mon mari, lui, voyait une lueur d’espoir et disait : « Attends les résultats des prises de sang, tant que tu ne saignes pas, rien n’est perdu ». Et de voir que cet « embryon trop petit », la cause de tout ce chagrin est en fait allongé à côté de moi, du haut de ses deux semaines, je me dis que mon mari avait raison. Quand le verre est à moitié vide, il est aussi à moitié plein.