On le sait, la vie de parents, c’est une perte de contrôle absolue sur son environnement et ça a tendance à empirer avec le nombre d’enfants qu’on a. J’en ai trois (2, 6 et 8 ans), et laissez-moi vous dire que ça en fait, des miettes, ces petites bêtes-là. Parfois, ça me rend folle, ma vie ne me semble qu’un ramassage permanent de bébelles, de vêtements, de miettes. Un vrai chaos! Sans farce, je pourrais facilement passer ma journée complète à ne faire que ça : ramasser.
Tous les dimanches, nous (alias la tribu infernale) allons rendre visite ma belle-grand-maman Fleur-Ange. Fleur a 94 ans, elle vit toute seule dans une résidence pour personnes âgées dans Saint-Henri. Fleur est si vieille que sa peau est presque transparente. Elle est si fragile, qu’elle perd l’équilibre chaque fois qu’elle ouvre la porte de son réfrigérateur. Chez elle, il fait toujours trop chaud.
Fleur n’aime pas sortir. Elle a peur de glisser, d’avoir froid, de se fatiguer, de faire une crise de panique ou une crise cardiaque. Alors elle préfère rester à la maison et ouvrir son ordinateur. Pour elle, Internet est l’invention la plus extraordinaire de toutes celles qu’elle a connues durant le dernier siècle, des petites olives vertes avec un piment rouge au milieu, au moteur à réaction. Fleur a un courriel, un scanneur, un compte Facebook, plein de « correspondants », comme elle dit. Avec elle, on discute de politique, de littérature, de féminisme, de maternité, d‘Histoire…
On lui dit souvent qu’elle devrait changer son ordinateur pour un neuf. Mais elle refuse et préfère son vieil ami trop lent et périmé, comme elle. De toute façon, elle n’est jamais pressée, c’est au moins un des avantages de la grande vieillesse, comme elle dit.
Après notre départ, Fleur se retrouve seule dans son logement bien rangé. Tout redevient calme. Le silence, elle déteste ça. Alors elle allume la télévision en bruit de fond, même si elle ne l’écoute pas vraiment.
Mais, aujourd’hui, une chose merveilleuse se produit. Fleur se penche pour ramasser une petite céréale de bébé qui gît sur le plancher depuis notre dernière visite. Délicatement, elle dépose la petite céréale ronde dans le creux de sa main et la caresse du bout de son doigt, tel un bijou précieux. Elle est émue. Une petite céréale de bébé, c’est tellement plein de vie. Ça lui rappelle sa vie d’avant, celle qui était pleine de monde, de cris d’enfants, d’objets qui traînent, d’odeurs de popote et de cigarette. Les bottes de son mari dans l’entrée, le bac à linge qui déborde, les petites mitaines qui sèchent sur le poêle, le tricycle dans l’allée, la bouilloire qui siffle, les garçons qui se chicanent, le bébé qui vient de se réveiller…
Tant de bruits, d’odeurs et de vie. Cette petite céréale retrouvée sous la table, c’est l’événement le plus beau de sa journée, de sa semaine même. Elle en remercie le ciel, même si elle ne croit pas vraiment au Bon Dieu.
Et moi aussi, finalement, je remercie la vie pour toutes ces miettes, ces cris et ce chaos permanent dans ma maison. Je réalise à quel point avoir des enfants est une chance et une richesse. J’ai parfois l’impression de saisir le sens profond de mon existence. Ha! rien de moins. Depuis que je suis parent, j’ai de grandes révélations existentielles de ce genre.
Crédit : Nicolas Demers
Avez-vous une arrière-grand-maman? Quelle place tient-elle dans votre vie?