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La parole masculine, celle qu’on croit
Crédit: Yuganov Konstantin/Shutterstock

Tous les ans, quelques gars random font cette expérience incroyable de changer leur signature de courriel, leur pseudonyme sur Twitter, leur nom sur Facebook, leur prénom sur OkCupid ou leur couleur de police de caractère dans les conversations ICQ. Chaque fois, on s’étonne de découvrir que Homme moyen n°78 a été traité différemment quand les clients/prétendants/lecteurs/éditeurs/gens pensaient que c’était Femme moyenne n°73.

On ouvre grand la mâchoire, on tombe en bas de notre chaise, on pousse les hauts cris : les femmes sont traitées différemment sur la place publique? Qui aurait pu le croire? Ce n’est pas comme si les femmes sur les réseaux de rencontre avaient déjà fait état des dizaines de photos explicites qu’elles recevaient. Ce n’est pas comme si les chroniqueuses avaient déjà fait état de la façon dont on les attaquait, vicieusement, sur leurs idées comme sur leur personne, quand ces mêmes idées passaient dans le beurre si leurs collègues masculins les abordaient.

Ce n’est pas comme si les femmes au travail et ailleurs avaient déjà fait état de la façon dont elles sont plus souvent interrompues, plus souvent diminuées, plus souvent écartées ou ignorées par des clients, des collègues, des patrons. J’ai travaillé en entreprise avant d’enseigner : quand j’ai démissionné parce que j’avais l’impression de stagner, mon patron a supposé dans ma face que c’était pour mieux m’occuper de mon chum (c’était pour terminer mon mémoire de maîtrise).

Je veux bien croire que c’est de bonne foi que Shneider essaye d’utiliser le courriel de sa collègue, je ne le blâme pas, mais que ça prenne ça pour qu’il réalise qu’elle est tout aussi compétente que lui, ça me désespère. Ça me désespère pour deux raisons :

  • D’abord, ça montre à quel point la parole des femmes qui s’expriment sur leur propre expérience n’est pas écoutée, à quel point elle est peu considérée, à quel point elle est dévaluée, voire vue comme de l’hystérie. On n’en fait d’ailleurs pas tout un plat quand une journaliste essaye un pseudonyme masculin sur Twitter quelques jours et trouve ça excessivement reposant qu’on débatte avec elle au lieu de la menacer de viol. Après tout, peut-on vraiment lui faire confiance?
     
  • ​Ensuite, c’est mignon de passer deux semaines dans la peau virtuelle d’une femme sur un média en particulier, mais ça ne peut pas faire comprendre à qui que ce soit l’expérience quotidienne du sexisme de la naissance à la mort. C’est même une fraction microscopique, presque invisible à l’œil nu, de cette expérience et de tous ses degrés.  

​Ce n’est pas nécessaire d’essayer diverses identités minorisées pour voir à quel point elles sont serrées, pour voir à quel point on y respire mal. C’est nécessaire de commencer à croire les femmes quand elles se l’ouvrent, à valoriser ce qu’elles disent sur leur propre expérience, parce qu’on ne dénonce pas le sexisme sinon : on le reproduit. 

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