C’est arrivé sournoisement.
Je m’étais toujours cru à l’abri des maladies. Je n’avais même jamais vraiment pensé que je pouvais être affectée par une maladie grave. Puis mon fils est né. Avec lui est venu le bonheur d’être mère, celui de le voir grandir et l’immense angoisse que cela ne soit plus possible.
Vers ses six mois, j’ai eu un mal de tête étrange, comme un éclair de douleur. Moi qui n’ai jamais mal à la tête, ça m’a un peu inquiété. L’infirmière d’info-santé aussi, alors elle m’a conseillé d’aller à l’urgence. Mon angoisse était née. J’ai à ce moment conclu que j’avais une tumeur au cerveau. (Finalement, mon cou a craqué, le mal de tête est parti. C’était un nerf de coincé.)
Ensuite j’ai eu plusieurs quelques bleus sur le bras : leucémie.
Puis un grain de beauté : cancer de la peau.
Et des violents brûlements d’estomac : cancer de l’oesophage.
Sans oublier des doigts engourdis : sclérose en plaques.
Ainsi qu’une douleur à l’avant-bras : cancer des os.
Etc.
Chaque fois, c’était des jours d’angoisse. Mon esprit était paralysé par la pensée d’être atteinte d’une maladie mortelle et de ne plus voir mon fils grandir. Le seul mot « cancer » me rendait les jambes molles ; dès que j’apprenais qu’un jeune parent était malade ou même, pire, décédé, je paniquais en me disant que j’étais la prochaine. Je n’arrivais plus à me raisonner, j’avais beau me dire que j’avais une génétique de feu, que les statistiques et même les probabilités étaient de mon bord, rien n’y faisait. J’étais de plus en plus terrorisée et par le fait même, dysfonctionnelle. Je questionnais souvent mon ami Google pour qu’il me rassure sur mes symptômes. Vous vous doutez bien, ô malin.e.s que vous êtes, que c’était l’effet contraire qui me tombait dessus. Et plus je stressais, plus j’avais d’étranges maux, et plus je stressais…
À ça, je dois ajouter, le sentiment de honte. Je m’en voulais atrocement d’y avoir succombée et de ne pas arriver à m’en relever seule. Je me trouvais ridicule dans ma panique.
Je cachais ma honte par une bonne dose d’autodérision (non sincère) à chaque fois que je consultais. Mais au matin de ma troisième sclérose en plaques, l’infirmière du 811 a été plus clairvoyante. Plutôt que de me poser des questions sur ce doigt engourdi, elle m’a questionné sur mes pensées et mon état d’esprit. Doucement, gentiment, elle m’a dit que j’avais le droit de ne plus être terrorisée. Que je pouvais avoir de l’aide. Que ça peut arriver à tout le monde (même moi).
La semaine suivante, j’étais dans le bureau de mon médecin, en pleurs, d’épuisement mental, de stress… et de honte. Mais lui, il n’a pas ri de moi, il m’a calmement souri et m’a dit que ça arrive, que ça se traite et que je n’avais pas à endurer un cerveau déréglé. Qu’il était là pour ça et là pour moi.
Et il m’a prescrit la dose minimum d’un antidépresseur qui agit sur l’anxiété. Cette petite pilule jaune et blanche empêche mon esprit malade de tourner dans tous les sens de la peur. Elle le garde bien focussé sur l’important : jouer, apprendre, manger, dormir, aimer et rire.
Je me souviens du moment où il a prononcé « hypocondrie ». Je lui ai répondu que non, parce que je n’avais pas peur d’avoir le rhume. Il m’a encore souri.
L’hypocondrie, c’est la peur irraisonnable d’être atteint d’une maladie mortelle.