Joël et Daniel étaient mes grands amis depuis l’enfance. Dans tous les albums de photos chez ma mère, on a une photo de ma sœur et moi avec « les garçons ». À tous les âges. Joël, le gars brillant et cool, le leader naturel qui donnait les hugs les plus réconfortants du monde. Daniel, le grand sensible, le bouffon qui mettait de la vie et des sourires dans n’importe quel party.
Le 25 octobre 1999, Joël et Daniel sont décédés dans un accident de voiture. Ils avaient 17 et 15 ans. J’en avais 16. Leur décès a profondément marqué mon adolescence.
Quand c’est arrivé, nous avons été avec les parents des garçons dans cette terrible épreuve. Après le drame, les amis se sont relayés pendant des semaines pour cuisiner pour eux et les appuyer dans leur deuil. Tranquillement, la vie a repris son cours. Sauf pour eux, évidemment.
Tout leur rappelait leurs chers fils. Les objets dans la maison. L’autobus scolaire qui passe. Ils avaient subi une perte immense. Qui affecte des parents pour toute la vie. Nos familles ont continué de se fréquenter. Quand on les voyait, on parlait un peu de Joël et Daniel, on racontait des anecdotes. Avec le temps, ils ont retrouvé le goût de vivre. Tout doucement, malgré la douleur, les souvenirs se sont transformés en sources de joie. Ils sont devenus des célébrations de la vie merveilleuse de leurs chers fils.
En octobre 2013 ma sœur et moi avons eu l’idée de créer un groupe Facebook en mémoire de Joël et Daniel. On a demandé l’accord de leurs parents, qui ont embarqué avec enthousiasme dans le projet. Ils sont coadministrateurs de la page avec nous, et ils l’alimentent régulièrement. Il y a près de 200 personnes dans le groupe : des amis, des membres de la famille. Chaque année, autour du 25 octobre, on met des photos, on raconte des histoires. On le fait aux dates d’anniversaire des garçons aussi. Et le reste de l’année, parfois, quand on pense à eux.
Un Noël, alors qu’ils étaient avec notre famille pour le Réveillon, leur mère m’a dit que le groupe Facebook était le plus beau cadeau qu’on lui avait fait. Honnêtement, je ne savais pas comment accueillir ça. J’étais vraiment gênée. Ce n’était qu’un groupe Facebook après tout!
Ce n’est que deux ans plus tard que j’ai compris ce qu’elle avait voulu dire, quand le père a partagé dans le groupe un article d’une mère endeuillée qui explique ce qu’elle voudrait que les gens comprennent à propos de la perte d’un enfant. La première chose, c’est que les parents aiment que les gens se souviennent de leur enfant. Qu’on leur dise quand on voit quelque chose qui nous fait penser à eux. Qu’on leur dise qu’on pense à eux aux dates importantes.
Trop souvent, la souffrance des autres nous paralyse. On ne trouve pas les bons mots, alors on reste silencieux. Ou alors on a peur de les blesser en ramenant à leur mémoire ces moments difficiles. Mais pour certains parents endeuillés, de savoir qu’on se souvient de leur petit amour partit trop vite, ça met un baume sur une plaie qui ne guérira jamais complètement. Peu importe le nombre d’années qui se sont écoulées.
Je voulais partager avec vous cette manière que j’ai trouvée, peut-être un peu malgré moi, de mettre un peu de douceur dans le cœur de ceux qui ont vécu l’innommable et qui doivent vivre avec cette réalité. Mais qui trouvent que la vie est belle, malgré tout. Qui se rappellent les beaux souvenirs de leurs enfants disparus. Et qui sont heureux de savoir qu’ils ne sont pas les seuls.