27 mai 2016, 3 h 06, je me réveille d’un rêve étrange, désagréable. Un vague souvenir de White Walkers me rappelle l’épisode de Game of Thrones que j’ai regardé la veille. Je bois une gorgée d’eau, puis me recouche. Et là, tout à coup, je la sens : ma première contraction.
 
« Ouch ça fait ben mal, ça! », que je me dis.
 
Je regarde l’heure, 3h 15. Je me rends compte que finalement, ce n’est peut-être pas les White Walkers qui rendaient mon rêve désagréable, mais cette douleur sourde, qui commence à se faire régulière. 
 
Une autre contraction arrive. Woah, ok, c’est déjà intense, douloureux, prenant. Ça ne ressemble en rien au début de travail de mon premier accouchement. Je regarde l’heure à nouveau et commence à calculer les intervalles. Mes contractions sont aux 7 minutes. Je secoue l’épaule de mon chum. « Je pense que ça commence, mon amour ».
 
5 h 20. Mon chum a mis de la musique – Leonard Cohen, Sufjan Stevens, Ragnar Kjartansson. Je suis couchée mais je m’assois à chaque contraction, c’est la position dans laquelle je suis le mieux. Mon chum me fait des points de pression dans le bas du dos, sur les mains et les pieds, pour stimuler les endorphines.
 
6 h 15, je me décide à aller prendre un bain pour vérifier si le travail est bel et bien commencé. Mes contractions sont aux 5 minutes. Je les chante, je me berce, je respire. Je cherche des images auxquelles m’accrocher – un voilier d’oies blanches, l’énergie battante de ma grand-mère, le soleil perçant les nuages. J’ai du mal à me concentrer, la douleur est vive. Je ne suis pas dans les images, les symboles ne me parlent pas : je ne suis que dans la sensation.
 
« Viens, mon bébé, viens. On est prêts, on t’attend ».
 
6 h 45, je sors du bain, le rythme s’est accéléré, on décide d’appeler notre sage-femme et de réveiller notre grande de 2 ans. Celle-ci entre dans la chambre où je suis toujours assise sur le lit. Elle vient me serrer dans ses bras, je goûte son souffle. Elle est sérieuse et rieuse à la fois, comme toujours. Mon chum l’amène chez les voisins.
 
7 h 30, notre sage-femme arrive, mais je n’ai pas le temps de remarquer sa présence. Le travail est intense, je tremble et me sens faible. Mon corps est emporté, il m’emporte. Ma sage-femme me dit : « C’est une tempête. Elle chavire tout, puis elle passera. Elle amène ton bébé ».
 
Une heure passe, engloutie par la sensation. Et alors je la sens arriver. La poussée. Sensation nouvelle, d’une intensité déstabilisante. Alors que je chantais toutes mes contractions, que je respirais lentement depuis le début, je me mets à crier, à hurler l’intensité à ne plus savoir quoi faire. Il n’y a plus de rondeurs, d’accueil, de cheminement : c’est vertical, ça emporte tout sur son passage. Ça me prend quelques contractions pour comprendre qu’il faut que je pousse avec la poussée, non pas que je la « prenne », mais que je l’accompagne. Alors, je me mets à envoyer toute mon énergie – tout mon cœur et mon corps et ma voix et mon amour – là, entre mes jambes. « Viens, mon bébé! »
 
Je suis à quatre pattes dans mon lit et je pousse, la poche des eaux éclate. Mon lit se transforme en rivière, et c’est ça qui m’arrive : je descends une rivière, je dévale son cours, emportée par ses rapides bouillonnants. Voilà mon image.
 
Je me couche sur le côté, je mets ma main entre mes jambes pour sentir la tête de mon enfant, qui va, qui vient. Je crie, je me tortille, je sens tout. Ma sage-femme accote ma jambe droite sur son épaule, j’attrape le bras de mon chum, je sens sa peau dans ma paume et je vois à ce moment tout ce que nous avons fait ensemble et tout ce qui nous attend. Je suis prête à m’arracher les cheveux et j’hurle sa bienvenue à mon bébé alors que je sens sa tête arriver et sortir, et ça fait mal, et ça me soulage, la fin approche, un tour de cordon à dérouler, et pousse!, une dernière vague.
 
Un petit être coule sur moi.
Toussote, s’accroche.
Vient se lover contre mon cœur.
 
Une nouvelle vie arrive au monde.
 
27 mai 2016, 9 h 40, Valier est né.

Crédit : Mathieu St-Onge