L’histoire finit bien, et ça n’aura duré que 5 minutes, même si ça m’en a paru vingt milles.
Je savais qu’un jour, ça arriverait. La perdre. Tous les enfants se perdent, un jour ou l’autre. Ce n’est pas la faute ni du parent ni de l’enfant ; c’est un concours de circonstances, alarmant, où l’instinct parental embarque sur un temps.
On revenait de la garderie par la ruelle. On était à pied, il faisait un soleil doré, ses boucles faisaient des serpentins autour de sa tête, ses petits genoux couraient en rythme parfait avec ses éclats de joie.
Je marchais. Lentement. Parce que je me remettais encore d’une chirurgie faite quelques jours avant.
J’étais en train de me rappeler que 2 ans auparavant, je passais dans cette ruelle avec mon bébé qui n’arrivait qu’à dormir dans sa poussette. Mon bébé qui aujourd’hui courait, frisettes au vent et qui s’arrêterait, comme d’habitude, au coin de la rue.
COMME D’HABITUDE.
Et c’est là que je l’ai vu tourner.
Comme ça. Vers la gauche.
Le son a coupé.
J’ai arrêté d’entendre les ustensiles placés sur les tables de jardin pour les soupers. J’ai arrêté d’entendre la cigale qui saluait la fin de l’été. J’ai arrêté d’entendre son rire qui s’est tu une fois ses petites sandales hors de ma vue.
Pis là, avec mes quatre cicatrices pas encore fermées et mon utérus qui s’est mis à crier, je suis partie à courir. Y’avait peut-être 100 mètres qui me séparaient de l’intersection. Quand je suis arrivée au coin de la rue, y’avait pas un chat.
C’était comme un décor de film vide. Pas de voiture, pas de piéton, personne aux fenêtres. Pas de signe d’une petite frisée qui court en riant.
Fuck all.
J’ai regardé à gauche, j’ai regardé à droite, j’me suis mise à voir en tunnel vision. Je me suis dit que j’avais un choix à faire. Et que ce choix aurait un impact majeur sur le fait de la retrouver vite ou pas, hors de danger. J’suis partie à gauche, je sais pas pourquoi… j’ai juste dashé. Même si mon corps me disait d’arrêter de courir parce que j’avais crissement mal.
Je ne pensais plus, j’étais en mode automatique.
J’ai couru, couru, couru.
À l’autre intersection, y’avait rien non plus à 360 degrés. J’suis passée en mode scan et j’ai vu la p’tite tache rouge de sa robe qui bounçait au loin à gauche, dans une autre rue. J’ai hurlé ma vie, le quartier est sorti sur son balcon.
Elle a dû s’arrêter un moment donné parce que quand je suis arrivée, elle se tenait debout sur le trottoir. Son sourire a disparu quand elle a vu la détresse sur mon visage. Je l’ai saisie par le bras comme un joueur de baseball qui vole vers son 3e but.
Visiblement, elle ne comprenait pas ce qui se passait, elle qui ne s’échappe jamais. Avant de s’expliquer, il fallait d’abord que je la sente, elle et son petit parfum de liberté. Je l’ai serrée pour une ou deux éternités. Puis on est rentrées. Main dans la main. Au son des explications, des mises en garde et des consignes de sécurité.
J’ai mis la soirée à m’en remettre puis dans la nuit, je me suis réveillée, incapable de me rendormir. Je me faisais réveiller par le claquement de sa course en sandales sur le chemin des drames du quotidien.
Je savais que ça arriverait. J’étais pas prête. Je pense sincèrement que rien ne peut nous y préparer. Aimer son enfant, c’est accepter de s’exposer au danger d’une porte dont on ne contrôle pas toujours la poignée.
Ça vous est déjà arrivé? Vous avez réussi à gérer?