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​Coudonc, étions-nous des enfants modèles?
Crédit: Jenna Christina/Unsplash

Avez-vous déjà remarqué cette merveilleuse amnésie sélective qui touche nos parents quand il est question de se souvenir des difficultés qu’ils ont vécus quand ils nous ont eu? Moi, ça m’étonne toujours quand je les entends ressasser leurs souvenirs et ne jamais mentionner les nuits sans sommeil, les otites à répétition, ou les âpretés de l’apprentissage de la propreté. C’est à croire que nous étions des enfants modèles!

J’avais été particulièrement frappée par la capacité d’oubli de ma belle-mère un jour où j’étais chez elle avec mon bébé de 5 semaines qui, en plein dans sa période de « pleurs inconsolables », ne se laissait pas déposer. Comme il pleurait dès que nous essayions de le coucher quelque part, eh bien nous le gardions dans nos bras, son père et moi. Nous le bercions, nous le portions, nous le brassions gentiment, et il dormait sur nous. Nous étions fatigués, mais ça nous allait.

C’est dans ce contexte-là que ma belle-mère m’a sorti un : « En tout cas, dans notre temps, ça se passait pas comme ça! »

– Qu’est-ce que tu veux dire ?, que je lui ai demandé.
– Ben on ne portait pas les bébés sans arrêt comme ça. Ils dormaient dans leur lit.
– Et qu’est-ce que vous faisiez quand ils pleuraient ?

– Ah, ben ils pleuraient pas! »

Ah ben ouais.
Les bébés ne pleuraient pas, dans leur temps, c’est sûr.
S’en est suivi une discussion très intéressante sur les différences entre les générations quant au soin des enfants, mais qui était teintée, il me semble, de cette amnésie sélective qui fait que ce sont surtout les bons souvenirs qui restent, plutôt que les difficultés. Ma belle-mère ne cherchait pas à porter un jugement sur nos choix et nos manières de faire, mais voulait simplement souligner les différences dans nos priorités et dans les réponses que l’on donne aux enfants. Mais il m’a semblé qu’elle oubliait à quel point c’est difficile, s’occuper d’un nouveau-né, que c’est fatiguant, exigeant, demandant.

Il m’est arrivé un peu la même chose lorsque j’ai questionné ma mère sur les manières avec lesquelles elle et mon père nous avaient accompagnées, ma sœur et moi, dans l’apprentissage du sommeil. À quel âge avions-nous fait nos nuits ? Nous avait-elle laissé pleuré ? « Jamais je ne vous aurais laissé pleuré, voyons ma belle ». (Hm hm, oui, je sais maman. Aucune mère ne veut laisser pleurer son enfant). Non, en fait, nous avions fait nos nuits par nous-mêmes, ma sœur et moi, à partir de 7 et 8 mois respectivement. Pouf ! Comme ça, comme par magie. Nous dormions.

Je ne veux pas dire qu’il est impossible qu’un enfant commence à faire ses nuits par lui-même (ma fille a fait ses nuits par elle-même à 6 mois). Mais c’est cette candeur dans la manière de parler de cette étape « comme si de rien n’était », qui m’a irritée. Comme si c’était si simple, si facile, en fait, d’être parent. Comme s’il fallait simplement laisser aller les choses.

Le temps a passé depuis la naissance de mes enfants, et ces deux anecdotes datent un peu. Mes parents et mes beaux-parents continuent de souligner les différences qui existent entre les manières de faire de leur époque (où nous étions tous des enfants modèles, semble-t-il) et celles de notre génération. Mais c’est drôle, on dirait que tout ça m’irrite moins qu’avant.

Je réalise en fait que moi aussi, je suis dotée de cette capacité d’oubli qui fait que, sans que je ne m’en rende trop compte, je sélectionne les bons souvenirs et j’efface les moins bons. Je n’ai pas oublié les virus aux dix jours de la première année de garderie, je n’ai pas oublié les 14 mois sans sommeil avant que mon fils fasse sa première nuit complète (et oui, il aura pleuré un petit peu pour y arriver).

Pourtant, ce ne sont pas ces souvenirs qui m’habitent. Je me souviens plutôt de notre premier voyage, la face qu’a fait ma fille la première fois qu’elle a mis ses pieds dans le sable. La fierté de mon fils quand il a fait ses premiers pas. Le bonheur que j’ai à les voir s’amuser ensemble, à se faire de câlins. En fait, pourquoi se priverait-on de se nourrir de notre bonheur ? Ça fait que je me dis que peut-être qu’à petit coup d’oublis, mes enfants deviendront eux aussi, des enfants modèles.

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