La plupart des grossesses se vivent dans une sorte d’innocence. De l’extérieur, c’est à peine si on la remarque la plupart du temps, car on y est tellement habitués. Mais, parfois, on la voit. Parfois, on la reçoit en plein visage.
Ce n’est qu’une injustice. Il n’y a pas de coupable. Pas de raison. On l’avait toutes, au départ, cette belle innocence-là. Moi aussi. Jusqu’à ce que la vie vienne m’arracher mes illusions. Et d’emblée, je vais convenir que c’est de la jalousie mal assumée — mais depuis, cette innocence-là, je la vois partout, et, chaque fois, il y a quelque chose en moi qui proteste.
La belle innocence d’une telle, qui, enceinte de son premier, son deuxième, son huitième — parce que l’expérience n’a rien à voir là-dedans —, commence à préparer la chambre de bébé alors que le pipi sur le test de grossesse n’a même pas encore séché. Parce que, pour elle, le simple fait de tomber enceinte est une fin en soi. Parce que, à ses yeux, à cette étape-là, le plus gros est fait, et il suffit de patienter neuf mois pour arriver à l’unique conclusion possible de ce grand voyage, soit un beau bébé en santé dans ses bras.
Sauf que moi, j’ai compris que, des fois, ce n’est pas comme ça que ça se passe. Des fois, bébé se sauve. Au bout de quatre, six, dix-huit semaines. Et même trente-huit. Des fois, on arrive au bout de l’aventure les bras vides.
La belle innocence de telle autre, qui refuse le dépistage de la trisomie en claironnant fièrement que son enfant, elle l’aimera comme il est, même s’il est différent.
Oui, c’est super. Mais moi, j’ai appris que l’échographie réalisée dans le cadre de ce dépistage-là, elle ne sert pas juste à mesurer une clarté nucale utilisée pour calculer un pourcentage de risque auquel on peut accorder une importance modérée ; elle permet aussi de déceler des anomalies bien concrètes. Et des anomalies, il y en a qui sont incompatibles avec la vie, et même toute la grandeur d’âme du monde ne les corrigera pas. Mais ça ne veut pas dire que bébé n’est pas un battant. Ça ne veut pas dire qu’il ne faudra pas prendre la décision de le mettre dehors. Par compassion.
La belle innocence de cette autre encore, qui annonce à tous qu’elle s’en va à l’échographie qui va lui permettre de « connaître le sexe ». En négligeant complètement le fait que l’objectif de l’exercice, c’est plutôt de savoir si bébé a tous ses morceaux aux bons endroits.
Parce que moi, je sais que, des fois, ce n’est pas le cas. Des fois, on passe cette écho-là à chercher un cerveau sur l’écran en noir et blanc, parce que même pour des yeux d’inculte, c’est évident qu’il n’y en a pas. Et on prendrait n’importe quel sexe, on prendrait même un bébé hermaphrodite, s’il y avait moyen de greffer un cerveau in utero.
Oui, je sais, ce n’est qu’une injustice. Certaines ont encore leur belle innocence, et c’est tout. C’est comme ça. Et je ne leur souhaite même pas de la perdre.