C’est à l’âge de 14 ans que j’ai rencontré « le nouveau ». Arrivé un peu avant l’hiver, il était plutôt low profile et pas très sociable. Le côté mystérieux du gars l’avait amené à avoir un fan club, malgré le fait qu’il n’avait pas vraiment d’amis. Aucune ne semblait l’intéresser, jusqu’au jour où il se mit à me parler. Soudainement, j’existais. Pourtant, je n’étais jamais allée vers lui. On peut dire que j’étais flattée.
On s’est fréquentés pendant quelques semaines avant que j’aille pour une première fois chez lui en tant que copine. Je n’étais pas une fille avec beaucoup de confiance en moi ; j’étais plutôt du type à monter dans les arbres, jouer aux jeux vidéo et chiller au parc. Je ne comprenais pas son intérêt envers moi.
J’ai compris plus tard, quand j’ai commencé mon stage dans un organisme qui aide les victimes d’agressions sexuelles. Ce qu’il cherchait, c’était une fille vulnérable, pas très sûre d’elle et avec un cercle d’amis restreint. J’étais une proie facile pour lui ; il pouvait profiter de moi sans que je sache à qui en parler.
Un soir, je suis allée chez lui pour « étudier ». Nous étions seuls et il m’a proposé de monter à sa chambre. C’était un mercredi. Je m’en souviens, l’émission La Poule aux œufs d’or jouait à la télé. J’étais nerveuse et je lui avais dit que je ne voulais pas vivre ma première fois cette soirée-là. Je voulais attendre encore et prendre mon temps. Il m’a dit qu’il comprenait et qu’il respecterait ma demande.
Il a toutefois insisté. Il m’a menacée de me laisser. Il m’a dénigrée. Il m’a menacée de violence physique. Il a fini par me mettre une main sur la gorge et la serrer. J’étouffais. J’avais peur. Je l’ai laissé faire.
J’ai regardé par la fenêtre pendant qu’il me violait. C’était la pleine lune. Place Melrose jouait à la télé. J’espérais qu’il réalise ce qu’il faisait et qu’il arrête. J’espérais qu’il m’embrasse et s’excuse. Il a fini par se relever et il y avait du sang dans les draps. Je suis partie chez moi, sous la neige, un soir de février. Arrivée à la maison, je me suis mise en pyjama après avoir changé mes petites culottes. Je n’ai rien dit à ma mère quand elle m’a demandé si ça allait.
Quelques jours plus tard, une rumeur s’est répandue dans l’école : j’avais couché avec le nouveau. J’étais une salope. Il disait que j’étais nulle au lit. J’ai dû le menacer pour qu’il arrête de parler de moi. Le mal était fait : certains se sont amusés tout au long de mon secondaire à m’intimider avec ça. Chaque fois, je revivais ces moments de violence. J’avais envie de leur crier la vérité, mais j’avais peur de ne pas être crue.
Non, je n’ai jamais porté plainte. J’ai changé d’école l’année scolaire suivant mon viol. Mon intimidateur principal a changé lui aussi d’école… pour la même que moi. Mon agresseur était ailleurs. Je n’avais plus de nouvelles.
J’en ai parlé pour la première fois, presque un an plus tard, à une intervenante de mon école. Elle m’a proposé de passer des tests d’ITSS, sans plus. Elle voulait que j’en parle à un adulte significatif pour moi. J’en ai parlé à ma tante. Elle a été gentille et m’a écoutée. Elle m’a crue. Je lui ai demandé de ne pas en parler avec mes parents. On n’en a plus jamais reparlé. J’en ai parlé à des amis. Ils ont tous réagi à leur façon… Ils étaient à l’écoute ou m’ont nommé leur colère envers mon agresseur.
Un été, j’ai même reçu des menaces de mort de sa part : il allait faire un collier avec mes dents si je continuais à dire des mardes sur lui. Sur le coup, je n’avais pas compris que c’était lui qui m’avait appelée pour me dire ça. J’ai compris cela il y a quelques années.
De mon viol, j’en ai parlé à mes chums. Je n’ai jamais eu de blocage sexuel, au contraire. J’étais plutôt du style à dire oui à tout, de peur d’être agressée de nouveau. Je cherchais l’amour à travers le sexe. Je pensais être aimée parce que je disais oui. Je sais maintenant que ce n’est pas le cas. J’essaye aujourd’hui d’être dans la bonne voie et de m’enlever cette idée de la tête.
Il m’a brisé ma première fois. Il a brisé ma sexualité pendant 20 ans. Maintenant, je rebâtis ma vie et celle d’autres victimes. Cet événement est devenu ma source d’énergie pour combattre. Ma colère s’est transformée en force.
J’ai su qu’il avait un dossier criminel. Une histoire de violence conjugale. Un jour je lui écrirai pour lui dire ce que j’ai vécu. Pour qu’il sache, lui aussi, tout le mal qu’il a fait. Même si je me doute que… ça changera quoi que ce soit.