(Première parenthèse : Capoter sa vie : expression signifiant vivre une émotion tellement intense qu’on ne sait pas comment on pourra continuer normalement après. Largement utilisée par ma passionnée de 10 ans ¾. Deuxième parenthèse : Comprendre ici que le 24 août coïncide avec la veille son anniversaire.)
Effectivement, j’allais prendre de l’âge le lendemain. Ma fête correspondrait cette année avec un lundi pluvieux selon la météo. Je savais d’emblée que l’ouvrage allait crouler sur mon bureau. Je n’étais pas 100 % zen avec l’âge que j’allais désormais porter. Il y avait dans tout ça quelque chose de pathétique qui ne me donnait pas particulièrement envie de célébrer. La journée que j’avais planifiée pour ce dimanche m’emballait davantage que mon lundi d’anniversaire.
J’ai expliqué à ma fille comment les choses changeaient avec le temps. Qu’une fois adulte, son anniversaire ne prenait pas le même sens. Mais plus j’expliquais, plus je me sentais mal à l’aise dans cette position. Je me sentais horriblement aigrie de lui dire que mon anniversaire n’avait pas trop d’importance à mes yeux. J’aurais voulu l’espace d’un instant « capoter ma vie » devant mon assiette de crêpes et compter les heures jusqu’au lendemain.
Je ne sais pas si c’est le chiffre qui m’agaçait, me sortant officiellement de la « jeune » trentaine. Je ne sais pas si c’est les coups que la vie m’a envoyés ces derniers mois, comme pour me rappeler que les joies s’accompagnent souvent de moments difficiles. Quoi qu’il en soit, je me suis sentie vieillir beaucoup trop cette année. Je me voyais vieille et maussade, et ça m’effrayait. J’avais peur de me transformer en une personne acariâtre et pessimiste. Il était là, mon malaise : mon discours avait une résonnance pessimiste, à l’opposé de ma personnalité. Voyant qu’elle n’en faisait pas trop de cas, j’ai abandonné ma tirade sur la banalité de mon anniversaire. J’ai rangé au fond de ma tête ce sentiment qui m’agaçait, afin de profiter au max de ma journée avec elle.
Une fois le soir venu, j’ai ressorti ces pensées qui m’avaient un peu bouleversée le matin même. J’ai analysé le problème sous toutes ses coutures. Et j’ai fait un choix. J’ai choisi de ne pas me laisser atteindre par l’amertume que m’apporte mon nouvel âge. Au fond de moi, je sais que j’ai changé, que j’ai maturé, que j’ai vieilli. Le temps avance et il ne m’épargne pas comme il le fait avec tout le monde. Mais il n’en reste qu’à moi d’y voir du positif ou du négatif.
Le positif, je l’ai trouvé comme ça : je mange encore mes biscuits Oréo en séparant le biscuit de la crème. Je cherche parfois à éviter les craques des trottoirs lorsque je marche seule, car je n’ai pas encore la certitude qu’il n’y a pas d’océan de lave en dessous. J’aime extrapoler sur une situation banale pour faire rire mes amis. Lorsque je porte ma robe préférée, j’ai l’impression que je suis une princesse. Quand je plonge dans un livre, je m’évade et je vis l’intrigue comme si j’y étais. Tous ces traits d’enfance ne m’ont pas complètement quittée.
Au fond de moi, je me sens souvent comme la petite fille rêveuse et enjouée que j’étais. J’ai décidé que l’important, en ce lundi, c’était l’âge qu’avait ma tête et mon cœur. Et ma tête et mon cœur n’ont pas tellement vieilli. Ils sont restés les mêmes, malgré les hauts et les bas de la vie. J’ai posé sur mon existence le même regard que lorsque j’étais une petite fille. Je n’ai pas regardé ce que je laissais derrière moi ; il y a beaucoup trop de chagrins et de regrets. J’ai contemplé droit devant, comme le fait ma fille, avec confiance et espoir.