J’ai lu avec attention un texte sur le site de Ton Petit Look cette semaine, sur le baiser improvisé entre Jonathan et Catherine. Sans jamais parler d’agression et sans accuser qui que ce soit, l’auteure faisait part de son malaise par rapport à ce qu’elle a vu dans sa télé ce soir-là. Le fait que Jonathan n’avait rien demandé à Catherine avant de lui plaquer un bec sur la bouche, sous l’effet de l’adrénaline, juste avant de sauter en parachute.
Sur le Web les raccourcis vont vite. Quand j’ai lu les réponses des gens sur Facebook, j’ai été sidérée. En gros, plusieurs personnes ridiculisaient le texte – pourtant mesuré -, en faisant ressortir que y’a rien là, que c’était donc ben exagéré comme lecture de la situation, que franchement s’il fallait demander la permission avant d’embrasser quelqu’un ça serait ben trop lourd pis ça briserait la magie, etc. Voici un échantillon des commentaires :
La rédactrice de ce billet a reçu de graves menaces en messages privés et la rédaction a dû supprimer l’article.
Premièrement, je crois qu’il y a ici une mauvaise compréhension de la notion de consentement. Effectivement un consentement verbal est généralement privilégié par celles et ceux qui font la promotion de cette notion. Certaines personnes trouvent ça drôlement turn on, de se faire demander un baiser ou un acte sexuel. Pour d’autres, « Ça n’a pas de bon sens, ça brise la magie du moment! ». À ces gens, je réponds : pas de panique, on inclut aussi généralement la possibilité de consentir par des gestes dans la compréhension du terme. Un exemple? Lorsqu’on s’approche pour embrasser quelqu’un, il est possible de voir si elle s’avance aussi, autrement dit si elle répond à l’invitation. Ça demande un minimum de réceptivité et de sensibilité. Et la fameuse « magie » est préservée. Si la personne détourne la tête, ou se recule légèrement, on comprend qu’elle ne veut pas. Il me semble que ça tombe sous le sens.
Puis, dans l’épisode de mardi, qu’est-ce que je vois? Encore un baiser non consenti à OD! Voici Nikola qui donne un bec dans le cou de Maude, par derrière, devant toutes les filles, suite à l’annonce qu’il la choisit pour faire une activité avec lui. « Je n’ai pas pu m’empêcher, elle est tellement belle », dira-t-il, juste avant qu’on nous montre Maude qui signifie clairement son malaise aux autres filles. Avec raison.
(voir la vidéo ici, à 2min46)
Non seulement il y a absence de consentement, car Maude n’a certainement pas eu l’occasion de répondre à l’invitation, d’une façon ou d’une autre, mais ce qui me dérange, c’est le message subtil que ça envoie. Parce qu’une fille est belle, ça donne le droit aux gars de la toucher, voire de l’embrasser ? Et en passant, on construit l’image des hommes comme étant conduits par leurs bas instincts, incapables de résister à une fille « trop belle ». Je ne pense pas que les hommes soient comme ça, fondamentalement. Mais c’est une façon de faire qu’on leur présente sans cesse. On est tellement habitués à voir ces comportements qu’on ne remarque même pas comment c’est insidieux. Sur le coup, ça ne m’a même pas frappée. C’est tellement commun. C’est après quelques minutes que j’ai réalisé ce qui était wrong dans la situation. Et que j’ai fait le lien avec l’épisode entre Catherine et Jonathan.
Mettons quelque chose au clair : je ne crois pas que Jonathan et Nikola aient été mal intentionnés. Qu’ils aient voulu créer un malaise. Et effectivement ce qui est arrivé n’est pas la fin du monde. Mais c’est justement là tout le problème. On vit dans une société où les hommes se sentent habilités à agir ainsi avec les femmes, parce qu’elles sont belles, parce qu’on vit un moment exaltant. Et ça ne date pas d’hier. Souvenons-nous de la fameuse photo du baiser volé sur Times Square, entre l’infirmière et le matelot grisé par l’annonce de la fin de la guerre :
Ça fait donc deux baisers « volés » en moins de 3 jours à OD. En tant que professeure en communication à l’université, j’enseigne aux gens à développer un regard critique par rapport aux contenus médiatiques. Et ça commence par comprendre que ce qu’on voit à la télévision nous reflète ce qui est acceptable ou non en société. Ça ne veut pas dire qu’une seule image nous influence. C’est l’effet répété de ces images, dans plusieurs médias, à plus ou moins long terme, qui forge les normes sociales. À nous d’exercer notre regard critique, et de les remettre en question, ces normes sociales. Au lieu de s’insurger et de prendre la défense du gentil Jonathan et du beau Nikola, pourquoi ne pas simplement nous interroger? Et réfléchir à cette image des relations hommes-femmes que nous envoie l’émission? J’ai proposé la même chose l’an dernier avec le cas Joanie et Sansdrick. Je me répète cette année.
Je ne sais pas pour vous, mais moi j’aime mieux vivre dans un monde où un homme va chercher une réciprocité pour m’embrasser. Un monde dans lequel les hommes ne se comportent pas comme s’ils pouvaient prendre ce qu’ils voulaient, même si c’est seulement un baiser, juste parce que « les filles sont belles ». Peu importe le contexte, même dans une téléréalité, même dans un jeu de séduction. Le consentement, sous forme de réciprocité, c’est sexy. C’est tout sauf lourd, ça veut dire qu’elle a le goût de vous embrasser elle aussi.
Qu’en pensez-vous?