On n’avait pas été nous deux depuis si longtemps.
On avait joué à l’être. Fait semblant de l’être. Physiquement. Au restaurant. Au cinéma. Main dans la main, dans la rue.
Que nous deux.
Mais il n’y avait de nous que notre présence physique. On parlait à reculons des mots imprononçables.
Nos têtes étaient ailleurs.
Entre deux couches, trois biberons et 17 lacs de larmes, on n’était pas nous deux.
On était prisonniers de l’urgence dans lequel notre état de parents nous avait plongés.
On n’était pas nous-mêmes.
Puis, une nuit on a dormi. La petite ne s’est pas réveillée pantoute.
Puis, un matin, on a fait la grâce matinée, en famille.
Puis, un jour, on a commencé à savourer la lenteur des heures.
Puis, le temps s’est mis à respirer.
Puis, l’urgence s’est apaisée et notre dynamique a changé.
On avait le temps de regarder nos doigts s’entrelacer alors qu’on buvait notre café et que la petite faisait un casse-tête sur le plancher près du chat qui roulait dans la poussière du matin.
On s’est surpris à échanger sur l’épisode de Game of Thrones de la veille, pas que commenter sur la cruauté des Lannister mais bien faire la totale herméneutique d’une scène de dragons qui n’en demandait pas tant et finir par des éclats de rire.
On s’est fait des clins d’œil de biais.
On en a calculé les angles coquins.
On a fait de la géométrie amoureuse (sans triangle!)
On s’est parlé d’équation où lui et moi égalions tellement plus que tout.
On s’est retrouvés. Grandis. Sortis du mode frénésie.
Prêt à être à nouveau là l’un pour l’autre.
Parce qu’on s’est dit dans notre beau désastre de couple/succès parental : on passe au travers, coûte que coûte.
On a accepté mutuellement ce moment si difficile pour voir si de l’autre côté on se retrouverait. Et on a gagné notre pari. Nous y sommes. Nous sommes là.
Nous sommes nous. En mieux. En plus forts. En plus costauds. En plus solides. En plus soudés.
Il y aura des moments où je perdrai patience parce qu’on ne s’entendra pas sur telle règle de discipline pour la petite.
Il y aura d’autres moments où je l’exaspérerai avec la façon exacte de plier les linges à vaisselle en carré parfait pour qu’ils ne dépassent quand ils seront empilés.
Mais plus que tout, on s’aime, et ça c’est étonnamment assez simple à gérer considérant tout ce qu’on a dû passer dans ces cinq dernières années.
Je suis fière que l’on se soit attendu au détour d’une vie. Que l’on sache que nos silences peuvent maintenant en dire tellement, que rien n’est jamais gagné, que la fragilité ne soit jamais signe de faiblesse.
Notre compréhension mutuelle, notre compréhension des choses, du monde, de la vie s’étend de Brossard à Pluton, on s’est mis à mal de la plus belle façon qui soit, on s’est réapprivoisés par l’apprentissage des jeunes années de ma fille.
Je sais qu’on n’a pas tout vu. Je sais que de la poussière de matin, il y en aura. D’autres drames, de plus grands, de plus déchirants, peut-être. De la joie, aussi. Beaucoup de joie.
On prend tout, lui et moi.
On est prêts pour ça.