Ça y est. C’est terminé, la cloche est sonnée. J’ai donné mon tout dernier cours à ces 17 ados que j’ai accompagnés, encouragés, taquinés, écoutés, consolés, divertis pendant 3-4 heures par jour ces 10 derniers mois. Je connais leurs peurs, leurs joies, leurs rêves. Je connais leurs histoires tissées d’exaltation et de détresse, eux qui ont tout quitté à cet âge déjà tellement trouble. Je me souviens des tourments de ma propre adolescence. Si on m’avait annoncé, à 14 ou 15 ans, que je devais quitter mes amis, ma famille, mon pays pour repartir à neuf sur un autre continent, j’aurais... capoté. Certains de mes élèves sont allés rejoindre des parents qu’ils n’avaient pas vus depuis 10-15 ans, des parents qui les avaient confiés à des proches pour aller chercher un avenir meilleur. D’autres élèves ont fui la guerre, la famine. Les accompagner dans leur quête identitaire et leur découverte de leur nouveau pays est un grand privilège dont je ne me lasse jamais.  

J’ai toujours trouvé que le métier d’enseignant.e ressemblait beaucoup au « métier » de parent. Même qu’avant d’avoir des enfants, quand j’hésitais à en avoir, je nommais souvent que j’avais un métier très gratifiant, qui me comblait beaucoup affectivement. Des « je vous aime madame », des « je vais me rappeler de vous toute ma vie », des « merci » en larmes, des câlins tremblotants, j’en ai reçu chaque année. Quel privilège. On aura beau dire ce qu’on voudra sur les conditions difficiles, j’ai le plus beau métier du monde et j’ai vraiment le sentiment que je change des vies.  

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Quelqu'un dans la salle peut résister à ça? Pas moi. 

Crédit : Giphy

Évidemment, je ne joue pas à la mère avec les élèves et je sais que leurs parents sont les véritables experts de leurs enfants. Mais quand même... Comme prof et comme mère, je stimule les apprentissages, je partage ma passion. Je réponds à mille questions, je propose mille défis. J’encadre et je discipline, je propose des conséquences respectueuses et logiques. J’encourage, je félicite, je récompense, je fais rire. J’écoute, je conseille, je console.  

Et j’aime, évidemment. Impossible de passer 10 mois à voir grandir 17 ados inspirants et attachants sans développer une profonde affection pour eux. Le fait que j’enseigne en classe d’accueil rend le lien qui nous unit encore plus spécial. Je suis souvent le premier adulte signifiant à qui ils ou elles s’attachent dans leur nouveau pays. Un phare, un guide, une porte ouverte, une bouée parfois. Je les aide à trouver de nouvelles musiques, de nouveaux mots pour exprimer ce qui bouille à l’intérieur d’eux. Ensemble, nous créons des ponts, nous défrichons de nouvelles routes que nous partageons pour un temps seulement. 10 mois. Si long et si court à la fois.  

Je pense à vous, les profs qui essuierez quelques larmes en éteignant la lumière de votre classe très bientôt. J’ai encore pleuré cette année, même après 10 ans de carrière. Je suis en deuil de tous ces belles personnes qui m’ont fait grandir moi aussi, qui ont chacune tracé un sillon sur mon cœur. Dans les prochaines semaines, je me surprendrai à penser à elles en plein milieu de l’été. Puis elles laisseront tranquillement leur place à d’autres humains à découvrir dans la moiteur de septembre.  

Je sais que je ne suis pas leur mère ni leur sœur ni leur tante cool: je suis leur prof. Mais pour moi, ils sont plus que de simples élèves. Je chéris les souvenirs que j’ai d’eux et je leur souhaite le meilleur. Je pense à eux avec espoir et fierté et je continuerai à le faire au fil des ans qui passent. 

Dans un petit coin de mon cœur, j’ai plus que 2 enfants. J’en ai 172.