La toute première amie de ma fille s’appelle Dabeille, elle la connait depuis qu’elle a plus ou moins 2 ans et demi. Comme l’indique son nom, c’est une abeille, sauf qu’elle est bleue et ses ailes sont comme celles des papillons. Ha oui, j’oublie un détail important: Dabeille est invisible aux yeux de tous, excepté pour ceux de ma fille.
Crédit: Giphy
Au début, je me suis beaucoup questionnée. Est-ce que c’est normal? Est-ce que c’est sain pour mon enfant d’entretenir une relation imaginaire ? Une fois, nous avons eu une conversation à ce sujet, je me souviens que ce fut une des premières véritables discussions que j’ai eues avec ma fille. Elle m’avait alors dit, dans ses mots d’enfants, qu’elle était consciente que Dabeille n’existait pas vraiment. Alors, je n’ai plus craint d’entretenir cette histoire et j’ai continué à faire semblant moi aussi. Selon Naître et grandir, avoir un ami imaginaire est caractéristique d’un enfant créatif et imaginatif. C’est un phénomène relativement courant, nullement inquiétant. C’est une sorte de mécanisme social qu’un enfant se forge pour pallier à un sentiment de solitude ou gérer un besoin d’adaptation sociale.
Dans cette description, je reconnais ma fille: elle est intelligente, bavarde et elle a de l’imagination à revendre. Et, malgré le fait que nous lui consacrons beaucoup de temps, je sais qu’elle s’ennuyait parfois, étant enfant unique dans un cercle social essentiellement composé d’adultes. J’imagine que Dabeille est née de cette imagination fertile et de ce besoin de compagnie.
Cette amie imaginaire avait une place importante dans notre quotidien. Tous les jours, on en parlait, on l’incluait dans nos activités. Ma fille se promenait souvent avec le petit poing fermé devant elle, car elle transportait ainsi sa précieuse compagne au parc ou en visite chez mamie. Souvent, je la trouvais dans un coin de la maison en grande conversation avec cet insecte fantastique. Bien entendu, Dabeille était beaucoup moins sage que mon enfant. S’il y avait un mauvais coup ou une gaffe, c’était toujours de sa faute. Lorsqu’un objet disparaissait, c’était l’amie imaginaire qui était responsable. Si je devais répéter une consigne, c’était parce que Dabeille disait à ma fille de ne pas écouter. Alors parfois, je jouais le jeu. Je grondais un peu Dabeille pour bien lui faire comprendre que les crayons ne doivent écrire que sur les feuilles de papier ou qu’on ne met pas de jouet dans la toilette.
Dabeille avait parfois, à la demande de ma fille, son assiette à notre table. Elle avait droit, après l’histoire, d’être incluse au rituel de bonne nuit que j’avais avec mon enfant. J’ai dû m’excuser un nombre incalculable de fois à une place vide sur le divan alors que mes fesses s’y étaient posées sans savoir que cette place était déjà occupée. Je me souviens d’une anecdote, alors qu’on revenait d’un voyage à Québec, où, à peine entrés dans le tunnel Lafontaine, ma fille se met à pleurer. Dabeille était restée à Québec, elle nous suppliait de faire demi-tour pour aller la chercher! La fatigue et les bouchons de circulation aidant, on a répondu: « Une abeille, ça vole. Elle trouvera le chemin de la maison. » Quelques jours plus tard, ma fille m’annonce, tout sourire, que sa précieuse compagne est effectivement rentrée au bercail.
Avec l’arrivée de la maternelle, la présence de Dabeille s’est fait de moins en moins sentir. Elle faisait parfois un retour fugace, les jours de pluie où nous étions seuls à la maison. Puis, une fois ses six chandelles soufflées, Dabeille n’est plus demeurée qu’un souvenir pour toute la famille.
Il y a cinq ans, j’ai décidé de me faire faire un tatouage qui me rappellerait mon enfant. Je me suis fait tatouer sur l’épaule gauche, celle du cœur, une petite abeille bleue, pour ne jamais oublier cette petite fille qui avait la tête remplie d’un monde fabuleux. Et cette abeille qui m’en a fait voir quelques-unes!