Ma fille avait trois mois quand elle a commencé à sucer son pouce. En fait, je devrais dire qu’elle avait trois mois quand elle a « recommencé » à sucer son pouce, puisque nous avons une photographie de l’échographie de 20 semaines où l’on voit clairement qu’elle le suçait dans mon ventre. Sortie du monde aqueux, ça lui aura donc pris ces quelques premiers mois avant de le retrouver.
D’ailleurs, je me souviens très bien du premier matin où elle l’a « trouvé ». Nous étions au lit, collées l’une contre l’autre après un allaitement. Elle dormait et traçait dans son sommeil un mouvement de haut en bas avec sa main gauche sur son visage. Tout à coup, comme par enchantement, son pouce gauche est atterri dans sa bouche, pop!, et tout son petit corps s’est mis à sucer avec passion ce petit bout de lui-même. C’était assez fascinant de la voir calme et contentée de la sorte.
Le premier jour
Crédit : Estelle Gb
À partir de ce moment, elle ne l’a pas lâché. Au début, c’était pas mal tout le temps, une lune de miel. Puis, les mois et les années passant, c’était surtout pour se calmer lors de crises ou frustrations, et pour s’endormir. Le pouce demeurait très associé à la doudou, ces petites couvertures douces qu’elle prenait pour dormir, et quand elle pleurait très fort, elle devait demander sa doudou avant de prendre son pouce, comme si l’un n’allait pas sans l’autre.
J’avoue que j’ai beaucoup aimé l’autonomie que procure la tétée du pouce. Ma fille se consolait souvent toute seule. C’était un pet de l’endormir. Et on n’avait pas à chercher une suce dans les draps en pleine nuit (j’ai vécu et je vis toujours l’enfer de la suce avec mon plus jeune).
Mais vint le moment où mon enfant devenait grande, et on ne savait pas trop, mon chum et moi, comment faire pour l’encourager à arrêter de s’accrocher à ce doigt magique. À ses 4 ans, nous avions pris la décision de ne pas utiliser « d’outils » ou de technique particulière pour la dissuader, mais d’y aller plutôt par la valorisation. « Tu deviens grande et tu décideras bientôt d’arrêter de sucer ton pouce. Je sais que quand tu seras prête, tu arrêteras. Si tu as besoin d’aide pour y arriver, n’hésite pas à nous le demander ». Ce genre de message.
À cela s’est ajouté la lecture du Cajoline « Au revoir la suce », que nous nous sommes procuré pour convaincre cette fois-ci notre fils de se départir de ce qu’il appelle affectueusement sa « sucette » (« MA SUCEEETTTTTE », chantonne-t-il en pleine nuit en se tortillant). À la lecture du livre (où on invite les enfants à envoyer par la poste leur suce au Roi lapin, qui distribue les vieilles suces aux bébés lapins dans la forêt pour user leurs petites dents), ma fille a demandé : « et moi, à qui je peux envoyer mes doudous pour arrêter de sucer mon pouce ? ». Alors, j’ai brodé un truc : « oui, tu peux l’envoyer au palais des fées, où la Reine des fées enroule les bébés fées dans les doudous des enfants pour les réconforter et développer leurs pouvoirs magiques » (hey, j’ai fait de mon mieux pour improviser quelque chose spontanément, ok?). Et ça a marché.
Crédit : Boomerang éditeur jeunesse
Quelques mois plus tard, sans crier gare, ma fille m’a annoncé qu’elle avait décidé de se départir de ses deux doudous douces (celles associées au pouce). Nous avons préparé le paquet en le coloriant, j’ai écrit une lettre à la Reine des fées lui expliquant que ma fille était très courageuse de lui confier ses doudous. Puis, nous nous sommes rendues au bureau de poste, et ma fille, plus grande que je ne l’avais jamais vue, a remis le paquet à la postière, et moi je pleurais derrière mes lunettes.
Quelques jours plus tard, nous recevions une lettre de la Reine des fées remerciant ma fille de son don, et où elle promettait aussi qu’elle renverrait les doudous chez nous, au moment où ma fille « ne les attendrait plus ». En attendant, donc, les deux doudous douces sont bien cachées au « Palais des fées », c’est-à-dire au fin fond de la tablette la plus haute de l’armoire la plus haute chez mes parents.
Ça aura pris une semaine avant que ma fille cesse complètement de sucer son pouce. Une petite minuscule semaine. Elle était prête. Elle était déterminée. J’étais surprise, et impressionnée. Comme elle est grande, après tout.