C’était une très belle journée, marquée par la chaleur du soleil et la douce fraîcheur du vent d’été. Nous recevions plus de cinquante invités pour célébrer l’arrivée de notre petite Livia. La joie se faisait entendre par le brouhaha flottant dans l’air comme l’odeur des lilas au printemps.

Alors que tout le monde s’adonnait à festoyer, je m’étais réfugiée seule au deuxième étage afin de laisser mes larmes, que je peinais à contenir, couler sur mes joues et pousser un sanglot douloureusement logé dans ma gorge. Mes souvenirs défilaient dans ma tête très lentement: je revoyais ton visage, celui d’une époque lointaine, mais glorieuse, avec tes joues qui regorgeaient d’amour, tes mains musclées qui pétrissaient la pâte d’une aisance magistrale, tes jambes et tes bras qui transportaient une brouette remplie de bûches que tu avais coupées, tes yeux verts qui, d’un seul regard, disaient tout, ton sourire contagieux, celui qui habitait ton visage lorsque tu étais entourée de tes petits-enfants. Mémé, si tu savais à quel point je m’ennuie de toi!

C’était en effet une époque plus glorieuse que celle que tu connais aujourd’hui. La démence s’est doucement et sournoisement installée chez toi, emportant tes repères un par un.

C’était une très belle journée, remplie d’émotions. Mon oncle et ma tante s’étaient approchés pour m’offrir un cadeau, le tien. Avant de me le remettre, ils tenaient à me raconter une histoire:

Ils sont allés te rendre visite au centre la veille de cette très belle journée. À leur grande surprise, tu vivais un moment de clarté. Tu te battais contre cette maladie, car tu ne voulais pas oublier. Tu ne voulais surtout pas oublier de leur confier le cadeau que tu voulais offrir à ton arrière-petite-fille pour cette occasion, car tu savais très bien que tu repartirais dans le brouillard. C’est alors que tu leur as remis ta broche en or, celle que Pépé t’avait offerte pour gagner ton cœur.

Cette fameuse broche, que j’ai tant vue sur tes habits chics, c’est la première lettre de ton prénom. Ton prénom, je ne l’ai pas donné à ma fille pour sa beauté, mais pour honorer la femme forte, chaleureuse et intègre que tu étais.

Alors que j’admirais cette broche en « L » avec une vision embrouillée, une triste joie s’était emparée de tout mon être. Pour moi, ton vrai cadeau était l’histoire de ta résilience, celle qui raconte le moment où tu t’es battue pour ne pas nous oublier.  

J’ai compris que, même si la démence te fait voyager dans un univers inconnu, je devais continuer à croire que tu nous reviendras de temps en temps.