Je n’ai jamais eu la relation la plus saine du monde avec la nourriture. Enfant, je me glissais dans le noir vers le frigo pour pouvoir manger seule loin du regard des autres. Manger pour moi est rapidement devenu une béquille, une source de réconfort. Surtout à l’adolescence, lorsque mon corps était tellement différent de celui des autres. Plus grand, plus gros. Avec des seins et des bourrelets.
La première fois que j’ai senti que mon corps n’était pas « correct », c’est parce qu’une adulte m’a fait un commentaire désobligeant. La mère de mon p’tit chum de l’époque m’a demandé directement en me regardant dans les yeux combien je pesais. « Euh, je sais pas, environ 170 lbs? », je lui ai répondu, incertaine de comprendre pourquoi ça pouvait bien l’intéresser. « Eh lala, c’est pas un poids pour une fille de ton âge, ça! »
C’est comme si elle m’avait tatoué cette phrase dans l’âme. Le fait que je mesurais 5’10 à 14 ans ou que je jouais au basketball et me déplaçait uniquement à vélo l’intéressait peu. Non, elle se devait d’être la porte-parole d’une société qui refuse que les femmes (et les filles) aient un corps autre que celui qu’on nous vend sur les panneaux publicitaires.
J’ai passé les années qui ont suivies dans un tourbillon profond de mal-être. J’ai mangé pour combler ce vide immense en dedans de moi, causé par un sentiment si profond de ne pas être correcte. J’ai ressenti une immense colère d’avoir ce corps qui ne cadrait pas avec les standards, qui déplaisait. Tout ça a mené à une prise de poids immense, puis une perte de poids immense et des années prises dans l’étau des troubles alimentaires. L’affaire vraiment spéciale quand on perd du poids rapidement quand on est gros, c’est que les gens nous applaudissent. Nous valident. Et pour chaque commentaire du style « Wow tu es tellement belle! », eh bien, c’est comme une goutte d’alcool versée dans la bouche d’un alcoolique.
J’aimerais ça dire aujourd’hui que rendue à 35 ans, ceci est derrière moi, mais c’est faux. Ça fait partie de mon identité profonde. Je pensais d’abord que ce démon en moi s’apaiserait lorsque j’aurais des enfants, ou lorsque je serais plus vieille. Mais non. Au contraire.
Enceinte, j’étais terrorisée à l’idée d’avoir une fille. Je sais très bien que les troubles alimentaires et tous les idéaux de beauté s’adressent aussi aux garçons, mais on sait tous que ce sont les filles qui en sont les plus grandes victimes. J’ai finalement eu des garçons, mais j’ai des nièces et des amis qui ont des filles. Et peut-être qu’un jour, un de mes garçons aura une p’tite blonde. Et je crois sincèrement que c’est ma responsabilité en tant qu’adulte de m’assurer que je ne fais pas partie du problème.
Mais je réalise aussi que les enfants sont des éponges et qu’ils absorbent ce qui se passe autour d’eux. Qu’ils entendent quand maman dit qu’elle se trouve grosse ou qu’elle refuse de goûter aux biscuits qu’ils ont faits parce que c’est la saison du maillot. Alors, dans ma maison, seul lieu où j’ai une petite impression d’avoir le contrôle sur le discours, on ne parle pas de ça. J’essaie d’avoir en tout temps une attitude positive sur le corps et la nourriture. Et je complimente mes gars sur autre chose que leur apparence.
Mais c’est un travail à faire encore et encore. Et je sais que peut-être un jour, un de mes enfants se fera traiter de gros à l’école. L’important pour moi, c’est que ce ne soient pas eux qui lancent ces mots.
C’est présentement la semaine Le poids? Sans commentaires! Je vous invite donc à ne pas commenter l’apparence physique des autres et surtout pas des enfants de votre entourage. Parce qu’on ne sait jamais à quel point on peut affecter l’estime de quelqu’un à cause d’une remarque qui peut nous sembler anodine.
Alors, dites-moi, quels sont les beaux compliments que vous faites à vos enfants qui réfèrent à autre chose que leur apparence?