Quand je suis tombée enceinte, l’allaitement était pour moi un choix naturel, sans même que je me pose la question. Je voulais vivre cette expérience que j’imaginais douce; un ultime acte de proximité entre moi et bébé. Je m’étais tout de même préparée à l’éventualité de devoir me tourner vers le biberon si ma production lactée était insuffisante ou la douleur insupportable. Car c’est ce que tout le monde te répète dès l’annonce de ta grossesse : « Tu veux allaiter? Tu vas voir, les premières semaines sont l’enfer, c’est douloureux, mais ça vaut la peine de persévérer, les 2 premiers mois passés et ce n’est que du bonheur. »

J’étais prête, donc, à pleurer à chaque tétée. À soigner des crevasses. À multiplier les tentatives pour que bébé prenne le sein. À manquer de lait et devoir complémenter avec une préparation pour nourrissons. Puis, à finalement atteindre ce doux paroxysme à l’étape charnière des 8 semaines.

Or, je n’ai pas eu mal. Un peu d’inconfort, certes, les premiers jours, quand les contractions utérines sont fortes au moment de la tétée, que le mamelon n’est pas habitué puis que l’engorgement mammaire arrive et que les jets de lait fusent de toute part. J’ai également eu la chance d’avoir un bébé qui a pris le sein à quelques minutes de vie à peine et qui ne l’a plus jamais lâché. Un champion de la tétée. Et j’étais loin, très loin de manquer de lait. Je me sentais bénie et je jubilais, car l’allaitement se promettait d’être effectivement le conte de fées que j’avais imaginé.

Puis bébé s’est mis à régurgiter. Tous les bébés régurgitent, c’est écrit partout. Alors, on faisait notre petit bonhomme de chemin en se changeant, lui et moi, 12 fois par jour (le reste du temps, j’acceptais simplement de sentir le lait suri). Il prenait du poids, il grandissait, il était de plus en plus éveillé.

Est venue la poussée de croissance de 3 semaines et l’augmentation conséquente de ma production lactée déjà trop forte. Comme tous les jours depuis notre sortie de l’hôpital, nous sommes partis faire le tour du quartier, bébé bien au chaud dans la poussette. En quelques minutes à peine, il s’est mis à tousser. Sous la housse, il était rendu bleu : le lait sortait en jet par la bouche et maintenant par le nez, l’empêchant de respirer. Mon coeur de maman a fait trois tours et en deux minutes, la planète entière était contactée pour m’indiquer la marche à suivre. « Tu as juste trop de lait, c’est un "beau" problème », qu’on m’a dit alors. Un problème dont personne ne fait mention, d’ailleurs, dans les cours prénataux: le surplus de lait.

Probablement parce qu’il y a tant de femmes qui manquent de lait qu’on n’ose pas dire que nous, on en a tellement que bébé s’étouffe à chaque tétée. Mais comme c’est « normal », pourquoi s’inquiéter? Sauf que ces épisodes se sont répétés sur une base quotidienne. Puis, plusieurs fois par jour. Bébé s’est rapidement mis à se tortiller et pleurer à chaque tétée. Exit, le petit chérubin qui, dans les premiers jours, s’endormait repu après avoir bu. Maintenant, c’est la crise, les vomissements, le reflux et la toux. Exit, aussi, les promenades en voiture ou en poussette, synonymes de rejets aux allures apocalyptiques.

Mon fils souffre de RGO: reflux gastro-oesophagien. Mais c’est normal, dit le corps médical. Alors, il n’y a rien à faire. Sauf de maintenir bébé à la verticale et lui faire faire des rots fréquents. Normal, donc, de voir bébé vomir - oui, même après un rot et en position verticale -, se tortiller et accumuler une dette de sommeil énorme, car les reflux l’empêchent de s’endormir et que pour s’apaiser il voudrait bien téter, mais le lait le fait vomir. Vous voyez le cercle vicieux?

Alors, 8 semaines post-accouchement, à ce moment où tout devait devenir facile, j’ai fait mon deuil de l’allaitement tel que je l’imaginais. J’allaite encore, mais le plaisir a fait place à la crainte. Mon plaisir, je le trouve ailleurs, dans ces moments de grâce où la douleur s’estompe et que mon fils me gratifie de ses plus beaux sourires. Car il a un tempérament exceptionnel. Si la douleur le fait pleurer, tout le reste l’émerveille et l’amuse, ce qu’il communique à grands coups de gazouillis heureux.

J’ai fait mon deuil de la proximité qu’offre l’allaitement en la trouvant dans le portage. Emballé dans sa belle écharpe tissée, je le garde à la verticale en lui donnant tout le réconfort que le lait ne sait lui procurer. Quand il s’endort enfin, tout s’efface et me donne l’énergie nécessaire pour faire face à la prochaine crise.

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