Aujourd’hui, j’ai vu ma mère pleurer. À boutte. Ma douce maman. Toujours aux petits soins de chacun. Toujours positive. Toujours énergique, ambitieuse, dévouée. Elle l’est toujours, au tréfonds de son magnifique être, mais aujourd’hui, j’ai vu la face cachée de sa lune de miel. L’éclipse Covid-19 est passée chez elle et a assombri sa pensée, noirci ses journées, étiré son visage en une langueur que je ne lui connais pas.

Je m’en veux. De ne pas pouvoir la serrer contre moi, j'ai besoin de lui dire qu’on ne se fiche pas d’elle, que notre distanciation n’est pas désirée et qu’on aimerait mieux être près d'elle.

Ses nappes favorites dorment dans l’armoire et elle pleure les fêtes manquées. Elle pleure l’absence de liberté, se flagelle pour son âge et sa vulnérabilité. Elle se sent inutile, pervertie par les innombrables règles mises en place pour la protéger, elle et la société. Elle, ma mère, ce bout de soie ambulant, toujours prête à aider, à soulever des montagnes, est arrivée au point de rupture. Et ça me brise. Ce point où on en a plus que marre, où on se noie dans sa propre mare d’incertitudes et de platitude, désuète et alouette.

Elle ne se peut plus d’errer dans son donjon domiciliaire sans aide et sans aider; chose qu’elle fait normalement si bien. Altruiste maman. Elle n’en peut plus de s’isoler sans vivre, de vivre sans respirer, sans projets, sans tendresse, dans l’ignorance du futur et en compagnie de Miss Dévalorisation qui la lorgne sans restes. Elle s’essouffle, ma mère.

Et nous, on est à bout de souffle. Parents de deux bambins, face à des garderies fermées, tous deux travailleurs essentiels avec des horaires de fou, jour après jour. On tient à bout de bras le bordélique fort, la langue déroulée à des kilomètres de notre maisonnée. On survit à notre quotidien. On déambule comme des zombies, nous composant un visage rassurant, alors qu’on approxime l’état de décomposition ultime. On sent le désinfectant à plein nez, propres du dehors, sales du dedans, anesthésiés par la dure réalité. On perçoit quelques effluves de moutarde nous monter au nez.

Alors, on a accepté avec peine de panser la peine d’une mère à boutte. De soulager notre sort de parents morts-vivants et de confier nos enfants, quelques heures durant, à cette grand-maman qui se meurt de vivre, à cette grand-mère qui s’illumine à la vue de nos cocos, à cet humain qui a besoin de sa famille pour continuer (NDLR: Depuis le mois de mai, il est permis aux les grands-parents de moins de 70 ans de garder leurs petits-enfants en respectant certaines conditions.)

Les risques pleuvent. On les contrôle au meilleur de nos capacités. Dr Arruda l’a dit; les grands-parents peuvent désormais aider. Je n’aurai jamais l’esprit tranquille. Mais j'essaie de convaincre ma tête que ma mère prend un risque assumé. Entre mourir de peine ou d’une potentielle infection à la Covid; elle fait son choix. Je ne l’assume pas, mais je souffle un peu. Enfin, je la vois revivre.

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