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La très grande maison de grand-maman
Crédit: Unsplash

J’ai longtemps hésité à publier ces lignes, croyant que ma situation m’était tellement propre que personne n’allait pouvoir s’y reconnaître. À l’évidence, elle l’est sur plusieurs points, mais je suis certaine que son artère principale est reliée à plusieurs autres histoires similaires à la mienne. Le quotidien d’un proche aidant est malheureusement marqué par l’isolement. Mais en reliant nos solitudes, la charge devient un peu moins lourde.

 

Ma maman partage son corps avec un monstre. Une bête féroce qui gruge toute sa tête sans même laisser quelques lambeaux en chemin. Son cruel colocataire déracine chaque fragment de sa vie pour les détruire un à un ; de comment conduire sa voiture jusqu’à faire sa toilette. Du prénom de ses amis de secondaire en passant par le visage de ses enfants.

 

Quand le diagnostic est tombé, nos réactions étaient aux antipodes. Pour nous, ç’a été brutal. La démence cohabitait avec elle depuis quelque temps, car certains signaux distinctifs ainsi que des antécédents familiaux laissaient déjà présager le pire. Mais l’officialiser la rendait réelle, tangible, terrifiante. Son comportement et ses agissements des dernières années s’expliquaient, mais notre futur avec elle s’écroulait simultanément. On tentait de se faire une tête afin de se préparer à ce qui s’en venait. On s’est bombardé de statistiques, de mises en garde tout en envisageant tous les scénarios possibles. Le mode survie s’est activé.

 

Mais pour elle, c’était un virus passager dont elle ne ressentait pas les symptômes. Un comprimé ou deux et ça serait du passé. Top shape! En bref, la démence engendre des troubles de mémoire, d’orientation, de jugement, ainsi qu’une modification de la personnalité. À travers ce type de maladie, la personne atteinte n’en souffre pas, mais les proches en subissent les coups. On parle aussi du deuil blanc, qui consiste à vivre la perte d’un proche toujours vivant. Et bien, c’est exactement ça.

 

On nous répétait de savourer chaque moment que la vie nous donnait avec elle. Sur papier, c’est l’idéal, j’en conviens. Mais dans les faits, il fallait veiller à sa propre sécurité et celle des autres de façon omniprésente. Pour mieux vous situer, dû à son état, c’était comme prendre soin en permanence d’un bambin turbulent et téméraire vivant dans le corps et la tête d’une femme de 50 ans, têtue comme une mule et forte comme dix hommes. 

 

Les années passent et ce qu’on redoutait le plus finit par arriver ; son médecin nous avise qu’un placement en centre d’hébergement serait à envisager pour le bien de tous. Car malgré tous les kilomètres parcourus en la portant à bout de bras et d’amour, le plus difficile restait quand même à venir. C’est le début de la fin d’une pente abrupte. 

 

Pour nous, ça signifiait la fin du premier sprint, on devait maintenant passer le relais. Pour être totalement honnête, à ce moment précis, derrière la peine, la colère et un immense sentiment de culpabilité, tout au fond, se cachait la pointe d’un soupir de soulagement.

Archive personnelle

 

À suivre.

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