Ce texte a été écrit après avoir pris connaissance du témoignage Quand une pandémie s'ajoute aux montagnes russes d'émotions d'une première grossesse.

Je dois d’abord commencer ce texte en disant que, mon chum et moi, nous sommes sans conteste des privilégiés de la pandémie. Ni l’un ni l’autre n’avons à craindre pour nos emplois ou nos salaires, nous travaillons dans des secteurs qui ont fait le choix du travail à la maison dès le début du confinement, nous avons le matériel et l’espace pour faire du télétravail efficace, nous habitons un grand et lumineux appartement, nous avons comme compagne du quotidien une adorable petite chienne qui accueille avec effusion de joie chaque jour supplémentaire que nous passons à la maison et aucun de nos proches n’a été malade.

Cet avertissement établi, je dois faire une confession : je vis une première grossesse et chaque jour, je suis reconnaissante de le faire dans ce climat si particulier. Tout a d’abord, le télétravail s'est révélé être un véritable libérateur de temps. Non seulement nous ne perdons plus de temps en déplacement, mais en plus, le télétravail nous a rendus plus productifs. Sans les réunions inutiles (seules celles nécessaires sont conservées par visio et nous allons directement à l’essentiel pendant que la connexion Internet est de qualité), les discussions de corridors qui s’étirent et l’obligation d’être physiquement sur le milieu de travail, nous parvenons à réaliser en quelques heures ce à quoi nous devions auparavant consacrer 7 à 9 heures par jour. Cette autonomie et cet allègement d'horaire sont une véritable libération!

Ce nouveau temps disponible inespéré convient tellement à la grossesse ! Je fais des séances de workout et de yoga prénataux, gratuites et facilement accessibles en ligne, plusieurs fois par semaine. Nous n’avons jamais autant cuisiné et aussi bien mangé qu’au cours des derniers
mois. Certes, j’ai un sommeil un peu bousculé par la grossesse, mais aucun stress avec l’idée que l’insomnie est terrible puisque je dois être au bureau le lendemain; je n’aurai qu’à dormir plus tard lorsque je parviendrai à me rendormir, ou alors à faire une sieste si nécessaire pendant la journée. Cet équilibre sport-alimentation-sommeil, que je n’aurais jamais réussi à atteindre en temps normal, me donne l’impression que je donne les meilleures conditions de développement à mon enfant, mais aussi que j’arriverai en meilleure forme lors de l’accouchement.

J’ai écrit « nous n’avons jamais autant cuisiné », et ici, j’insiste sur le nous. Le confinement nous a permis de véritablement instaurer une dynamique de partage des tâches quotidiennes, un aspect de l’égalité des genres qui me tient particulièrement à cœur. En étant tout deux constamment dans le même appartement, impossible que des tâches soient « invisibilisées » : on entend la lessive tourner, le lave-vaisselle qui se fait remplir, l’éducation de la petite chienne qui est accomplie à coup de répétitions des mêmes petits gestes constamment. Puisque maintenant faire des courses est l’équivalent d’une sortie commando en territoire hostile, la charge mentale entourant la planification des repas pour une semaine entière, la liste des achats et les lieux où les faire devient une opération stratégique cruciale que nous préparons finement à deux. Nous sommes devenus une équipe à part entière, où chacun conçoit que les « petits gestes » du quotidien ne sont pas réalisés miraculeusement par des anges gardiens et que leur non-accomplissement, même pendant que quelques heures, plonge notre unique environnement dans un beau bordel. Notre fils va grandir dans une maison où il n’y a pas de tâches « naturellement » féminines et où tous doivent contribuer à la qualité du foyer.

Le confinement s’est également avéré un moment parfait pour la nidification de notre appartement. Dans notre vie d’autrefois au rythme implacable métro-boulot-dodo, nous n’aurions eu d’autres choix que de se diviser les tâches préparatoires à l’arrivée du petit et de procéder chacun de nos côtés « pour que ça avance » (l’injonction à la productivité jusqu’à dans les recoins du quotidien). Là, nous avons eu le temps de discuter, de prendre des décisions ensemble, de peser les pour et les contre et de faire des choix plus éclairés. Bien que déjà sensibilisés à ce sujet, la crise économique et ses effets sur le commerce local nous ont incités à découvrir plusieurs entreprises québécoises actives dans le marché de la grossesse et de la petite enfance. Seul bémol de la pandémie : nous aurions aimé privilégier l’économie circulaire et les produits de seconde main, mais nous avons laissé pour le moment de côté ce type d’échanges peu adapté à la distanciation sociale (on se reprendra pour tous les achats à faire lorsque Junior aura grandi).

La sortie bienheureuse du quotidien aliénant du métro-boulot-dodo fait aussi en sorte que la nidification se déroule dans un état d’esprit relax et fait de rires, là où auparavant, elle aurait généré des tensions et des chicanes par le niveau de stress et de fatigue élevés qu’entraînaient nos horaires effrénés. Exemple typique : monter des meubles, activité autrefois à haut risque de dérapage conjugal. Maintenant, on se met de la musique (Jean Leloup, Alexandra Strélinski, Jean-Michel Blais, yeah!) en buvant des bières sans alcool (les microbrasseries québécoises ont vraiment investi cette part de marché, yeah!), puis on procède en prenant notre temps pour décortiquer les instructions imagées des meubles qui accueilleront bientôt le petit, en s’étonnant (« tu imagines le nombre de couches que l’on changera sur cette table? ») et en s’émouvant (« j’ai bien hâte de te bercer ici, mon petit homme »).

Le confinement nous a imposé une hibernation certes forcée, mais propice à un recueillement intérieur pour se donner le temps de réfléchir à quel type de famille nous voulons fonder. On dévore la série documentaire Babies sur Netflix, la chaîne YouTube de la Maison des maternelles (mon chum est Français), les articles sur l’approche Montessori : pour ou contre, certains blogues parentaux. Nous avons le temps de nous poser ensemble sur le canapé et de dialoguer ouvertement, en profondeur et de façon informée d’une foule de sujets, autant ceux qui peuvent fâcher que ceux rigolos. Nos appréhensions et attentes mutuelles face à l’accouchement, les valeurs que nous voulons inculquer à notre enfant, l’atmosphère que nous désirons installer dans notre foyer et les astuces pratico-pratiques pour y arriver, les caractéristiques de nos personnalités respectives auxquelles il faudra être particulièrement vigilants quand nous serons bientôt en sevrage de sommeil et avec des cris de bébé réguliers en arrière-fond sonore, etc. Le confinement et son intimité obligée nous ont accordé le temps, à mon chum et moi, d’avoir des discussions honnêtes et qui font qu’aujourd’hui, nous sentons que les fondements sur lesquels nous construirons notre famille sont beaucoup plus partagés, délibérément choisis et donc solides.

Au final, la plus grande difficulté pour moi en cette période si particulière est de vivre tout cela loin de ma famille. Mais, encore une fois, cela a du bon. Je suis beaucoup plus consciente et empathique de la réalité que vit mon chum qui, en choisissant de s’installer au Québec définitivement, doit vivre avec le fait de ne voir sa famille que de loin, à distance. Je comprends mieux pourquoi il est important que je sois présente lors des visios avec sa famille, parce que du lien familial, ça se crée et ça s’entretient. Nous avons aussi réfléchi à des stratégies pour mieux intégrer sa famille à celle que nous créons ici; nous envisageons à intervalles réguliers à faire imprimer des photos (oui oui, pas seulement à les envoyer rapidement dans un fil de discussion où elles sont condamnées à disparaître au fur et à mesure qu’elles exigeront un déroulement important pour y accéder) et à créer un album avec quelques lignes contextualisant le moment ou l’anecdote immortalisé. Les grands-parents pourront les avoir à portée de main pour les consulter, ce sera aussi une bonne matière à discussion lors des visios, et au final, de magnifiques souvenirs pour tout le monde. Un jour, le petit pourra y participer en dessinant des barbouillages, puis plus tard encore, en y consignant sa perspective. Une tradition est née.

En somme, je sais très bien que je suis privilégiée, mais je ne peux faire autrement que de considérer comme béni ce contexte si particulier, intime et tout en lenteur que la pandémie a fait naître. J’ai l’impression que cela nous a accordé un temps et un cocon hors du monde pour pouvoir poser les bases de cette famille que, plus que jamais, nous faisons le choix ensemble de construire.

Bon, cela étant dit, on accueille quand même le déconfinement avec plaisir. Ne serait-ce que pour la chance de présenter notre petite merveille à ses grands-parents.

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