Ma première enfant est décédée il y a un peu plus de six ans. Elle avait une maladie orpheline qui la rendait lourdement handicapée, mais les médecins nous annonçaient une espérance de vie d’une soixantaine d’années.
Malheureusement, une semaine avant d’accoucher de son petit frère, elle est partie tout doucement dans son sommeil. Elle était âgée de deux ans et demi. Nous étions à des années-lumière des 60 ans annoncés. J’ai vécu ses funérailles avec la peur de devoir m’y absenter pour aller donner naissance à mon fils. Heureusement, il a attendu que son père et moi puissions fermer le cercueil de sa sœur et vivre la dernière soirée de ses funérailles avant de pointer le bout de son nez. Inutile de préciser que j’ai alors vécu une multitude d’émotions différentes qui cohabitaient drôlement les unes avec les autres. Pour le bien de ma santé mentale, j’ai tenu un journal durant les quelques mois suivants ces deux événements aux émotions fort contradictoires.
Il y a quelques semaines, j’ai retrouvé ce journal en faisant le grand ménage de notre chambre pour y refaire la décoration. J’ai alors pris une pause de mes travaux afin de m’allonger sur mon lit et de me plonger dans la lecture de mon journal.
Un des chapitres traitait de tout ce que je ne voulais pas oublier par rapport à ma fille. J’avais si peur d’oublier les détails de notre relation, de sa personnalité, de ce que nous avions vécu ensemble. Je me souviens m’être dit à cette époque que j’exagérais probablement et qu’il était impossible que j’oublie. La vie avec elle n’a pas toujours été facile : nous avons enchaîné les nuits blanches, nous avons tenté de tolérer et de comprendre ses pleurs interminables, nous l’avons accompagnée lors de multiples hospitalisations et nous ne comptions plus les rendez-vous médicaux. Par contre, malgré les défis, les inquiétudes et parfois la colère contre la vie qui n’était pas douce envers elle et envers nous, l’amour que nous lui portions était infini.
Lorsque j’ai relu mon cahier, j’ai pu me remémorer plusieurs souvenirs que j’avais effectivement oubliés. Réaliser que j’avais oublié certaines anecdotes ou même certains petits traits de ma fille a été un choc.
Je me suis d’abord sentie coupable d’oublier. La tristesse et l’ennui que je porte toujours quelque part en moi depuis son départ ont aussi refait surface. Puis, je me suis sentie soulagée d’avoir tenu ce journal et reconnaissante de pouvoir me remémorer tous ces souvenirs, qu’ils aient été effacés ou non. Je sais aussi que même si j’oublie quelques détails, je n’oublierai jamais ma fille et l’importance qu’elle a eu et qu’elle a toujours dans nos vies.